11/11/2011

« On n'est pas avocat pour soi »par Lassiney Camara d'Abidjan (2007)

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"Le jugement des crimes contre l'humanité ne peut s'affranchir des règles du respect des droits de l'homme. Le nier, c'est laisser au monde entier l'image d'un dictateur devenu victime."    Me BESCOU avocat à Epinal. 

LES CONCOURS DE PLAIDOIRIES

Une tribune exceptionnelle

Lycéens, élèves avocats et avocats,

Venez défendre les Droits de l’Homme au Mémorial de Caen. Inscrivez

Concours 2012 

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Dimanche 4 février 2007 , des jeunes avocats ont participé au concours international de plaidoiries pour les droits de l'Homme, organisé pour la dix-huitième année consécutive par le Barreau de Caen, le Mémorial pour la paix, et la ville de Caen.

 

  L'ancien bâtonnier de l'ordre des avocats de Caen, Bernard Blanchard , porte la manifestation depuis l'origine.

Pour lui, le concours est l'endroit où, "l'espace d'un dimanche, n'importe quel avocat de la planète peut venir exposer un cas et le faire évoluer de façon positive".

 

Avant son tour, Lassiney Camara, 30 ans, confie de son côté : "Je veux faire pression sur toutes les parties concernées par la pollution du Probo-Koala, à Abidjan, en août 2006. Nous avons déjà des centaines de morts." Des procédures judiciaires sont en cours en Côte d'Ivoire, dont cet avocat n'est pas partie. Mais il enrage de constater que les véritables responsables, "les hauts fonctionnaires de l'Etat ou les hommes d'affaires", ne sont pas inquiétés.

 

 "On n'est pas avocat pour soi" explique-t-il.

 

Au barreau d'Abidjan, on me connaît comme celui qui plaide le plus souvent gratuitement. J'ai peut-être tort d'être idéaliste."

 

L'ancien bâtonnier de l'ordre des avocats de Caen, Bernard Blanchard, qui porte la manifestation depuis l'origine, a trouvé une définition. Pour lui, le concours est l'endroit où, "l'espace d'un dimanche, n'importe quel avocat de la planète peut venir exposer un cas et le faire évoluer de façon positive".




Julie Feld ,avocate au barreau de Bruxelles

René Tagne, inscrit au barreau de Yaoundé

Lassiney Camara inscrit au barreau d'Abidjan,

Akpéné Kpegba-Acouetey du barreau de Lomé

Morgan Bescou, avocat à Epinal 

 Alexis Deswaef, avocat à Bruxelles,

Julie FELD, avocate au barreau de Bruxelles,  parle pour Rukhsana, qui habitait à Nottingham, Royaume-Uni. Cette femme était pakistanaise, mère de deux enfants, et enceinte d'un troisième, après une relation extra-conjugale. La honte jetée sur la famille fut telle que son frère l'a étranglée tandis que sa mère la maintenait pour l'empêcher de se débattre.

 

Elle évoque d'une voix posée Guldunya, jeune Turque de 22 ans que l'époux de sa cousine a mise enceinte,

Guldunya, jeune Turque de 22 ans que l'époux de sa cousine a mise enceinte, qui s'est sauvée parce qu'elle savait ce qui l'attendait, et que ses frères ont retrouvée. Ils lui ont tiré dessus, ne l'ont que blessée, puis l'ont achevée sur son lit d'hôpital.

Elle parle doucement, aussi, au nom des femmes irakiennes, prisonnières politiques libérées de la prison d'Abou Graïb. La plupart d'entre elles ont été violées en cellule. Les familles sont allées voir les imams pour évoquer cette terrible situation. Après délibération, autorisation a été donnée aux pères et aux frères de tuer ces détenues rendues à la vie. En Irak, précise-t-elle, ces victimes sont clairement identifiables : leurs corps abandonnés dans la rue sont nus, lacérés, et amputés d'une main. A ce moment du récit, sa voix gronde : elle explique que "la main coupée constitue la preuve donnée par la famille au chef de la tribu que la femme a bien été tuée et que l'honneur du clan a été ainsi préservé".

Julie Feld est avocate au barreau de Bruxelles et réclame justice pour les femmes victimes des crimes d'honneur sur tous les continents : "Elles n'avaient aucun droit de leur vivant, qu'elles aient ici un lieu où l'on parle de leur mort !"

Dimanche 4 février, elle ne plaide pas devant un tribunal, mais participe au concours international de plaidoiries pour les droits de l'homme, organisé pour la dix-huitième année consécutive par le barreau, le Mémorial pour la paix, et la ville de Caen. Pour sa défense, Me Feld a remporté le deuxième prix, parmi les dix candidats finalistes.

S'il n'y avait que la beauté du geste du plaideur, les délices de l'éloquence ou le défi de la notoriété, l'événement se résumerait à une sortie du dimanche à succès : près de 2 000 personnes, des habitants de la région de Caen pour l'essentiel, s'y pressent à chaque édition.

Mais les causes défendues sont lourdes, les cas évoqués actuels. Certains, seront même "suivis" pendant plusieurs années par les organisateurs : une pression, parmi d'autres, celle d'Amnesty International notamment, pour aider à un jugement ou à une libération.

L'exercice est retransmis en direct sur Internet. De bons professionnels ont été sélectionnés. Certains sont impressionnants, qui connaissent leur propos par coeur et plaident sans trébucher, parfaitement fidèles à leur écrit, pendant vingt minutes, les yeux plongés dans l'immense hall du Mémorial.

La technique n'est pas oubliée, les tables de la loi sont convoquées. Me Feld n'a aucun mal à opposer les dix premiers articles de la Déclaration universelle des droits de l'homme à l'article 104 du code pénal iranien. Ce texte concerne la lapidation de la femme adultère, qui doit être enterrée jusqu'à la poitrine pour son exécution. Il dit, dans une belle et glaciale expression : "Les pierres utilisées pour infliger la mort par lapidation ne devront pas être trop grosses au point que le condamné meure après en avoir reçu une ou deux ; elles ne devront pas non plus être si petites qu'on ne puisse leur donner le nom de pierre."

Les concurrents sont plutôt jeunes, et une majorité relève des barreaux d'affaires. Que sont-ils venus chercher sur ce terrain ? A Bruxelles, Me Feld travaille surtout des dossiers pour le Centre pour l'égalité des chances. Elle est venue dans le rôle d'une porte-parole : "J'utilise une tribune internationale pour dénoncer quelque chose d'atroce, et suggérer ce que l'on pourrait faire", précise-t-elle en aparté.

René Tagne, un confrère inscrit au barreau de Yaoundé, a lui aussi trouvé "une tribune à travers laquelle se faire comprendre". Il ne voit pas en quel autre lieu il pourrait parler du peuple des Bedzang, ces 40 000 Pygmées réduits à l'esclavage au Cameroun.

 

Avant son tour, Lassiney Camara, 30 ans, confie de son côté : "Je veux faire pression sur toutes les parties concernées par la pollution du Probo-Koala, à Abidjan, en août 2006. Nous avons déjà des centaines de morts." Des procédures judiciaires sont en cours en Côte d'Ivoire, dont cet avocat n'est pas partie. Mais il enrage de constater que les véritables responsables, "les hauts fonctionnaires de l'Etat ou les hommes d'affaires", ne sont pas inquiétés.

 

 "On n'est pas avocat pour soi" explique-t-il.

 

Au barreau d'Abidjan, on me connaît comme celui qui plaide le plus souvent gratuitement. J'ai peut-être tort d'être idéaliste."

L'ancien bâtonnier de l'ordre des avocats de Caen, Bernard Blanchard, qui porte la manifestation depuis l'origine, a trouvé une définition. Pour lui, le concours est l'endroit où, "l'espace d'un dimanche, n'importe quel avocat de la planète peut venir exposer un cas et le faire évoluer de façon positive".

Le vainqueur de cette édition 2007 a pourtant plaidé sur un échec : Me Alexis Deswaef, avocat à Bruxelles, n'a pas réussi à empêcher l'expulsion de Tumba, 6 ans et demi, une fillette congolaise qui a passé 82 jours de détention au centre 127 bis de Zaventem et qui lui avait demandé : "Peut-on enfermer des enfants ? Je vous le demande, peut-on enfermer des enfants ?"

Etrange événement que ce vrai-faux concours.

Ici, c'est du Togo que vient la défense de la Tchétchénie, au travers d'une plaidoirie à la mémoire de la journaliste russe assassinée Anna Politkovskaïa. L'avocate est une jeune femme du barreau de Lomé, Akpéné Kpegba-Acouetey, qui pointe son doigt sur une salle captivée en disant : "Toi qui crois en les valeurs défendues par Anna Stepanovna Politkovskaïa, veille à ce que la lumière, l'espoir qu'elle avait allumés dans le coeur des habitants des zones de combat en Tchétchénie, des camps de réfugiés au Daghestan et en Ingouchie, ne s'éteignent jamais."

 

A Caen, ce dimanche, on a aussi plaidé pour Saddam Hussein.

Morgan Bescou, 27 ans, avocat à Epinal, n'a obtenu aucun prix. Sa plaidoirie était pourtant la mieux documentée, et, semble-t-il, la plus courageuse : dans la salle, l'évocation des droits bafoués de l'ancien dictateur irakien a provoqué quelques réactions indignées. "Triste paradoxe que la dénonciation aujourd'hui du procès d'un homme dont les organisations (de défense des droits de l'homme) n'ont pourtant cessé, durant des décennies, de dénoncer les crimes et exhorté la communauté internationale à ne pas les laisser impunis", a pris soin de préciser d'emblée le dernier plaideur de la journée.

Tribunal discrédité, procédure totalement inéquitable, exécution indigne : tout a failli dans ce procès où les droits de la défense ont été "anéantis", déroule Me Bescou.

Trois avocats ont été assassinés. Mais aussi un juge d'instruction, et quatre juges en formation. D'autres ont été révoqués, ou se sont montrés partiaux, jusqu'à la caricature.

"Indifférent, le tribunal s'est montré totalement discriminatoire, en refusant la production tardive de preuves à décharge que souhaitaient produire les avocats de la défense", plaide le candidat. La cause est difficile.

 

"Le jugement des crimes contre l'humanité ne peut s'affranchir des règles du respect des droits de l'homme, conclut l'orateur.

Le nier, c'est laisser au monde entier l'image d'un dictateur devenu victime."

 

Nathalie Guibert

Article paru dans l'édition du monde du 06.02.07.

 

 

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