13/02/2024

Histoire du serment de l avocat De la soumission religieuse et politique à la liberté

PatricK Michaud ,avocat

“Je jure, comme avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité,
conscience, indépendance,probité et humanité” 

histoire du serment de l avocat

Nous, avocats, connaissons tous cette formule, sésame pour tout homme ou femme qui aspire à devenir avocat, mais également synthèse en cinq mots, qui sont autant de qualités, de l’essence même de notre déontologie professionnelle et de nos « fonctions dans la Cité. »

Histoire du serment de l avocat ;
De la soumission religieuse et politique à la liberté

Et pourtant un grand nombre d’avocats n’a pas prêté ce serment, pour la simple raison que les termes précités n’ont d’existence légale depuis la loi du 31 décembre 1990, article 2.

 Depuis son apparition au Moyen Age, le serment de l’avocat a subi bien des modifications, qui reflètent la complexité des relations que le barreau entretient avec le pouvoir politique.

 

I NOTRE PREMIER SERMENT :  UNE SOUMISSION RELIGIEUSE. 1

II NOTRE SERMENT ETAIT DEVENU UNE ALLÉGEANCE POLITIQUE. 2

III LE SERMENT DE BADINTER : UN SERMENT D’AVOCAT LIBRE ET RESPONSABLE. 3

IV LA DÉFENSE ET LA PROTECTION DE L’HOMME
L AVOCAT EST DEVENU  UN CHEVALIER DE JUSTICE 


NOTRE PREMIER SERMENT:
 UNE SOUMISSION RELIGIEUSE

 

Le principe d’un serment professionnel prêté par l’avocat remonte au droit romain : le Code de Justinien précise notamment (Livre III, titre I) que l’avocat doit jurer sur les Evangiles de ne rien négliger pour la défense de son client et de ne point se charger d’une cause reconnue comme mauvaise. 

 Ces principes se retrouvent dans l’ordonnance de Philippe III Le Hardi, du 23 octobre 1274, qui constitue l’une des premières dispositions réglementaires relatives au Barreau français.

 « Les avocats, tant du parlement que des bailliages et autres justices royales jureront, en latin, sur les saints évangiles qu’ils ne se chargeront que des causes justes, et qu’ils les défendront diligemment et fidèlement ; et qu’ils les abandonneront dès qu’ils connaîtront qu’elles ne sont point justes. Et les avocats qui ne voudront point faire ce serment seront interdits jusque à ce qu’ils l’ayant fait. Les salaires seront proportionnés au procès et au mérite de l’avocat, sans pouvoir néanmoins excéder la somme de trente livres. Les avocats jureront encore qu’au-delà de cette somme ils ne prendront rien directement ou indirectement. Ceux qui auront violé ce serment seront notés de parjure d’infamie, et exclus de plein droit de la fonction d’avocats, sauf aux juges à les punir suivant la qualité du méfait. Les avocats feront ce serment tous les ans. Et cette ordonnance sera lue tous les ans aux assises. »

 

En 1344, le Parlement de Paris énumère en détail les obligations que l’avocat doit jurer de respecter.

 

Indépendamment des principes généraux déjà évoqués, il doit s’engager à ne pas faire usage de moyens dilatoires ni d’affirmations inexactes ou étrangères à la cause. Le maximum de trente livres de rémunération est rappelé, mais l’avocat doit également promettre de toucher des sommes bien inférieures pour des affaires de peu d’importance.

A la fin de l’Ancien Régime, ces textes du Moyen Age sont toujours connus et cités. Mais le serment que prête le nouvel arrivant au barreau tient en quelques mots : il doit simplement promettre et jurer devant les magistrats du Parlement “d’observer les ordonnances, arrêts et règlements de la Cour”.

 Le renouvellement annuel du serment paraît avoir été pour sa part plus un rituel qu’une véritable obligation. Il n’est pas effectué par tous les avocats.

 Au XVIIIème siècle, le Bâtonnier et les Anciens qui assistent avec lui à la rentrée des juridictions (au mois de novembre) renouvellent leur serment en jurant sur l’Evangile que leur présente le Premier Président du Parlement. Cette cérémonie résume bien la double dimension, professionnelle et religieuse, qui caractérise le serment de l’avocat jusqu’à la Révolution, à l’exclusion de toute allégeance au pouvoir politique

 

 Si les avocats ont pu jurer d’être fidèles au roi pendant la guerre de Cent ans ou les guerres de religion, ces serments qu’ils prêtaient avec d’autres sujets de la royauté n’étaient motivés que par un contexte politique troublé, et s’ajoutaient au serment professionnel sans se confondre avec lui.

 

 II NOTRE SERMENT ETAIT DEVENU UNE ALLÉGEANCE POLITIQUE

A de la Révolution jusqu’à 1982

En 1790, le barreau est supprimé et le “défenseur officieux” se substitue au “ci-devant avocat». Le serment professionnel ne réapparaît qu’avec la renaissance d’une profession réglementée, en 1804.

Mais la formule alors retenue porte la marque des temps nouveaux : les futurs avocats doivent jurer “de ne rien dire ou publier, comme défenseurs ou conseils, de contraire aux lois, aux règlements, aux bonnes mœurs, à la sûreté de l’Etat et à la paix publique, et de ne jamais s’écarter du respect dû aux tribunaux et aux autorités publiques” (loi du 13 mars 1804, art. 31).

Le serment a perdu sa dimension religieuse (il n’est plus prêté sur les Evangiles), mais il revêt désormais un caractère politique qui, durant près de deux siècles, sera lié à l’exercice de la profession.

Le poids du pouvoir se fait encore plus lourd lorsque Napoléon consent, sans enthousiasme, à rétablir les ordres d’avocats.

L’Empereur décide alors de compléter le texte du Premier Consul : indépendamment des engagements déjà formulés en 1804, le candidat au Barreau doit jurer “obéissance aux constitutions de l’Empire et fidélité à l’Empereur” et encore “de ne conseiller ou défendre aucune cause que je ne croirai pas juste en mon âme et conscience” (décret du 14 décembre 1810, art. 14).

 Cette dernière disposition, héritière du droit romain, n’est pas retenue par les Bourbons, qui conservent en revanche les termes de 1804 et corrigent le mode d’expression d’allégeance au pouvoir l’avocat jure désormais “d’être fidèle au Roi et d’obéir à la charte constitutionnelle” (ordonnance du 20 novembre 1822, art. 38).

La même ordonnance (art.39) faisait interdiction à un avocat de plaider en dehors de son ressort sans l’autorisation préalable de son bâtonnier, du premier président de la Cour et du garde des Sceaux.

Notre confrère DRAULT, du Barreau de Poitiers, avocat d’office pour défendre le général BERTHON, a été alors radié par la Cour pour avoir soutenu que ce texte constituait une violation du droit fondamental du libre choix de la défense.

Louis-Philippe se contente d’une pure modification de forme (décision du 22 octobre 1830) la formule de 1804 demeure en vigueur et l’avocat promet en outre “fidélité au Roi des Français, obéissance à la charte constitutionnelle et aux lois du royaume”.

La deuxième République a la sagesse de renoncer au serment de fidélité exigé par les régimes précédents, mais n’en maintient pas moins les termes de 1804 (décision du 13 septembre 1848). Elle est imitée en cela par le Second Empire (décision du 30 avril 1852) et la troisième République (décret du 20 juin 1920, art. 23).

Le gouvernement de Vichy, à défaut d’imposer un serment de fidélité et d’obéissance au régime (projet que le Conseil de l’Ordre avait pris soin de rejeter dès le 21 février 1941) modifie la formule de 1804 la “sûreté de l’Etat” devient la “sûreté extérieure”, tandis que “le respect dû aux tribunaux et aux autorités publiques” devient “le respect dû à la justice et aux autorités de l’Etat français”.

L’avocat doit en outre ne rien dire ou publier de contraire “aux règles de l’honneur professionnel et de la confraternité” (acte dit loi du 26 juin 1941, art. 23). Ce nouveau serment ne connaît qu’une existence éphémère.

Il est abrogé dès le 3 septembre 1943 par un décret du Comité français de libération nationale, qui rétablit le serment en vigueur sous la troisième République, fidèle au texte de 1804. Celui-ci est de nouveau retenu lors de la nouvelle réglementation de la profession en 1954 (décret du 10 avril, art. 23).

Désormais vieille d’un siècle et demi, la formule élaborée sous le Consulat paraissait immuable. C’est sans compter sur la série de mutations que vont connaître le barreau et les professions voisines.

 Lors de la réforme de 1971, le texte de 1804, bien que maintenu, doit désormais cohabiter avec des exigences inconnues jusque-là : il est demandé à l’avocat de respecter, outre les tribunaux et les autorités publiques, “les règles de ordre”, et surtout d’exercer sa profession “avec dignité, conscience, indépendance et humanité” (décret du 9 juin 1972, art. 23).

 

Pour la première fois, le texte du serment ne se contente pas d’exiger de l’avocat le respect des lois, des “bonnes mœurs” et des pouvoirs établis ; il fait aussi mention de qualités humaines et professionnelles.

« Je jure, comme avocat, d’exercer la défense et le conseil avec dignité, conscience, indépendance et humanité, dans le respect des Tribunaux, des autorités publiques et des règles de mon Ordre, ainsi que de ne rien dire ni publier qui soit contraire aux lois, aux règlements, aux bonnes mœurs, à la surêté de l’État et à la paix publique ».

 Quelques années plus tard, un décret (en date du 9 novembre 1979) abroge une mesure prise sous Napoléon (art. 35 du décret du 6 juillet 1810) en vertu de laquelle le serment des avocats était renouvelé traditionnellement chaque année lors de la rentrée judiciaire (usage dont s’acquittaient en principe le Bâtonnier et le Conseil de l’Ordre, mais qui n’avait plus cours à Paris). Il est ainsi mis fin à une tradition vieille de plus de sept cents ans.

III - LE SERMENT DE BADINTER :
UN SERMENT D’AVOCAT LIBRE ET RESPONSABLE

Un pas gigantesque : la mutation de 1982 et ses suites

 En 1982, le législateur rompt totalement avec la tradition consulaire, à la faveur d’une discussion parlementaire tendant à réviser la législation relative à la répression des fautes commises à l’audience par un avocat. (loi du 15 juin 1982)

A la suite de plusieurs événements qui défraient alors la chronique, certains parlementaires dénoncent le fait que l’avocat prétendu fautif peut être sanctionné immédiatement par la juridiction saisie de l’affaire.

Plusieurs propositions de lois sont déposées en vue d’une réforme, à l’Assemblée nationale comme au Sénat.

Ce dernier, à l’issue d’une discussion de propositions déposées par deux avocats sénateurs (MM. Henri Caillavet et Charles Lederman), adopte le 12 juin 1980 un texte tendant à renvoyer l’avocat susceptible d’avoir commis une faute devant le Conseil de l’Ordre.

Deux ans après, le texte adopté par le Sénat est discuté et modifié par l’Assemblée nationale. La commission des lois, (dont le rapporteur est Madame Gisèle Halimi), observe que la loi à réformer prévoit de sanctionner l’avocat pour “tout manquement aux obligations que lui impose son serment”, commis à l’audience.

Elle suggère en conséquence une nouvelle formulation du serment, afin de garantir au mieux la liberté de défense.

Le texte proposé par la commission des lois (et approuvé par le gouvernement) rejette l’héritage napoléonien et retient seulement les quatre vertus introduites en 1972.

 

 L’avocat jure simplement “d’exercer la défense et le conseil avec dignité, conscience, indépendance et humanité”.

L’Assemblée nationale (22 avril 1982) puis le Sénat (3 juin 1982) adoptent ce texte sans difficulté. Un amendement, tendant à ajouter “dans le respect des lois”, est présenté à l’Assemblée, mais retiré lors de la discussion.

Aucun orateur ne se fait le défenseur de l’antique formule de 1804, définitivement abrogée par la loi du 15 juin 1982.

Les déontologues du barreau soulignent la double innovation que constitue la formulation adoptée en 1982 :

-le serment est désormais dépourvu de tout caractère politique et ne comporte plus d’interdictions ; -il exige seulement de l’avocat quatre qualités, présentées par le ministre de la justice, Robert Badinter, comme les “quatre vertus cardinales de l’avocat”.

- L’autre nouveauté de ce serment est de résulter d’un débat parlementaire : Le serment de l’avocat ne relève désormais plus du domaine réglementaire mais du domaine législatif.

 

C’est en conséquence une loi seule qui peut modifier les termes du serment. Mais bien plus importante devait être la modification survenue dix ans plus tard.

Par ailleurs, la loi supprime le délit d’audience qui permettait aux magistrats de sanctionner un avocat sur le siège (cliquez)

Lors des débats parlementaires relatifs à la réforme de 1990-1991, la formule du serment a été remaniée : l’avocat jure d’exercer non plus “la défense et le conseil”, mais ses “fonctions”, terme plus général qui témoigne de l’élargissement de son champ d’activité et surtout de ses missions dans la Cité.

Il jure également d’exercer avec “probité”, qualité qui vient s’ajouter aux quatre vertus antérieurement retenues.

Lors de la discussion du projet de loi au Sénat (8 novembre 1990), l’adjonction du mot “probité” suscite un débat, la commission des lois jugeant cette addition superflue, propose d’y renoncer.

Mais plusieurs sénateurs (dont Me Charles Lederman) objectent que ce retrait pourrait laisser penser que la probité n’est pas une qualité primordiale du Barreau. Ainsi défendue, la probité (considérée comme un devoir professionnel par la réglementation depuis Napoléon) rejoint la dignité, la conscience, l’indépendance et l’humanité parmi les termes du serment (loi du 31 décembre 1990, art. 2). Ces différentes qualités figurent au rang des principes essentiels de la profession, dont la méconnaissance constitue une faute professionnelle. C’est dire que si la formulation actuelle du serment garantit la liberté de la défense, elle met également l’accent sur les exigences de l’éthique professionnelle.

Les médecins avaient « le serment d’Hippocrate »,

Les Avocats ont « le serment de Badinter »

 L’analyse politique de ce serment nous libère de toutes servitudes religieuses, politiques, judiciaires et autres

 

 

 LA DÉFENSE ET LA PROTECTION DE L’HOMME
LA CRÉATION DU CHEVALIER DU DROIT

 

 Par le serment de BADINTER, nous sommes redevenus les héritiers des Lumières c'est-à-dire des contestataires mais aussi des créateurs de droit

 

Notre serment n’est plus le serment d’un auxiliaire de justice mais celui d’un Chevalier du Droit et de la Justice dont les « fonctions » sont d’abord de défendre et de protéger l’Homme dans tous les aspects de sa vie tant au niveau du conseil que du litige, de les conseiller, les représenter et les assister notamment devant le juge mais aussi de participer à la création du DROIT en proposant notamment aux magistrats de créer de nouvelles règles de droit adaptées à chaque situation humaine de notre époque.

 

chevalier de justice.pdf

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19:24 Publié dans La fonction d'avocat | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire du serment de l avocat |  Facebook | | | Pin it! |  Imprimer | | |

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