QUEL ORDRE NATIONAL ? Par michel.benichou

QUEL ORDRE NATIONAL ?

*                               Par michel.benichou le 30/06/11

Chacun connait les enjeux d'une représentation forte au XXIème siècle des avocats français. Toutefois, nous buttons sur le conservatisme et la peur du changement. Chacun se complait dans le système féodal qui est le nôtre et s'accommode d'une institution nationale contestée de toute part.

On veut une institution qui soit forte à l'extérieure mais faible à l'intérieur de la profession.

Cette situation n'est pas tolérable et ne pourra se poursuivre.

Certains considèrent qu'il suffirait de changer le mode électoral du CNB. Il s'agirait de revenir aux élections d'origine, celles de 1992, avec un scrutin de listes et une circonscription nationale. On sait que le Président DANET, à la fin de son mandat, a souhaité opérer une réforme électorale indispensable. L'expérience avait été tentée et avait échoué. Le scrutin national par liste assure uniquement la présence des syndicats au sein du CNB. Cela maintient à l'extérieur de l'institution les Ordres, les bâtonniers. Or, la légitimité des Ordres est liée à l'Histoire des avocats et personne ne pourra la remettre en cause. Par ailleurs, s'il ne s'agit que de modification du mode de scrutin, comment revenir sur la réforme de 1995 qui a permis au Conseil de l'Ordre de Paris (43 membres) d'élire seul 20 % des membres du Conseil National des Barreaux (16 élus/82).

Comment revenir sur la profusion des différentes listes qui, dans le collège général, se présentent et n'ont parfois qu'une vie éphémère, ceci sans omettre que leurs élus apportent, souvent, à l'institution, vigueur nouvelle et travail considérable ?

Certains, au contraire, préconise une élection dans des circonscriptions de Cour d'Appel ou régionales. Toutefois, la simple réforme électorale ne changera rien quant aux légitimités diverses qui s'affrontent, celle des Ordres, celle de l'Ordre de Paris, celle des syndicats, celle des organismes techniques qui font de la politique.

Il faut donc un changement profond.

Il faut affirmer que l'Ordre National ne peut se créer sans les Ordres. Il devra faire sa place - toute sa place - à l'ordinalité et devra être constitué d'un collège de bâtonniers en exercice. Le Collège Ordinal province du CNB n'a jamais démérité. Toutefois, il est composé d'anciens bâtonniers ou d'anciens membres de conseils de l'Ordre qui n'ont plus le pouvoir d'engager leurs Ordres ou leurs conférences régionales. Ils n'ont plus la légitimité de l'exercice au quotidien du pouvoir.

Il est impensable de prévoir une institution avec 160 bâtonniers. Il convient donc d'aboutir à une représentation par circonscription. L'efficacité pousserait à adopter la région comme circonscription. Mais il ne faut pas injurier l'Histoire. Celle-ci est encore liée au judiciaire, même si le chiffre d'affaires des avocats se fait à 70 % dans le service juridique. Ce n'est pas le marché qui dicte la composition de nos institutions. Les avocats sont liés à l'administration de la Justice et au ressort de la Cour d'Appel. Il faut donc considérer les 33 Cours d'Appel de France et désigner un Bâtonnier par Cour d'Appel qui représenterait les avocats de ladite cour au niveau national. Certains préconisent une élection au suffrage universel. Nous aurions alors, de nouveau, deux légitimités s'affrontant, celle des Bâtonniers des ordres locaux et celle du Bâtonnier de Cour. Il est plus simple, à cette étape, de faire procéder à l'élection d'un bâtonnier de Cour d'Appel par les Bâtonniers des Ordres locaux et les membres des Conseils de l'Ordre réunis en assemblée. Le Décret n° 2011-451 du 22 avril 2011 pris pour l'application de la loi du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les Cours d'Appel a institué un Bâtonnier référent au niveau de la Cour pour traiter de toutes questions d'intérêt commun relatives à la procédure d'appel. Il ne s'agit, certes, pas d'une nouvelle institution de représentation de tous les avocats mais d'un premier pas.

Ainsi, nous aurions un collège ordinal composé de 33 bâtonniers en exercice représentant leurs Cours d'Appels. Ils allieraient ainsi pouvoir, légitimité et proximité. Le Bâtonnier de Paris devra représenter son Ordre. La Cour d'Appel de PARIS pourrait alors être scindée en une circonscription parisienne et une circonscription « périphérique ». Il serait impensable que le Bâtonnier de Paris ne soit pas dans l'Ordre National.

Chacun de ces 34 bâtonniers se verrait doté d'un nombre de voix correspondant à ses mandants. Ces voix lui permettront de voter lors de questions ordinales.

Il conviendra, parallèlement, de développer l'inter-ordinalité. Les communes ont vu naître l'intercommunalité sans perdre leur existence, leur identité et leur autonomie. Les groupements inter-ordinaux doivent bénéficier de transfert de compétences, de pouvoirs et de moyens financiers et humains. Chacun en bénéficiera et cela renforcera le rôle des Ordres. Tous bénéficieront de cette action commune. L'inter-ordinalité est une solution permettant le maintien des Ordres actuels adossés (tant que la postulation existera) aux TGI tout en créant de nouvelles synergies et sans qu'il soit besoin de créer un véritable échelon intermédiaire.

La seule question qui semble discutée concerne l'existence d'un collège général et de la présence des syndicats. J'avais écrit naguère que je croyais que seuls les Ordres et les Bâtonniers devaient être représentés au sein de l'Ordre National, les syndicats participant aux diverses commissions, émettant des propositions ou contestant celles émises par l'institution. Cette analyse était cohérente. Néanmoins, elle condamne l'émergence d'un Ordre National car elle ne pourra pas entrainer l'adhésion des avocats. Ceux-ci sont favorables à la présence des syndicats même si ceux-ci ne recrutent pas massivement dans la profession. Les syndicats ont largement travaillé au sein du CNB. Si on comptabilise les rapports portés par leurs membres, si on regarde leur travail dans les commissions, on constate l'impact considérable qu'ils ont eu et qu'ils ont.

Exclure les syndicats et leurs représentants au sein de l'Ordre National nous condamnerait à la paralysie et à l'immobilisme. Jamais le Ministère de la Justice n'acceptera un Ordre National sans l'existence d'un véritable consensus. Jamais, nous nous ne parviendrons à un accord en excluant les syndicalistes.

De surcroit, les exclure pourrait nous amener à une situation allemande d'une double légitimité partagée entre un Ordre national regroupant les différents Ordres (la BRAK) et, d'autre part, un organisme national regroupant les syndicats et les avocats (le DAV). Cette concurrence, cette compétition seraient néfastes.

Dès lors, le collège général serait composé de 34 membres. Il s'agira de déterminer s'ils seront élus par listes avec une circonscription nationale : système ayant la faveur des syndicats, ou dans les ressorts de Cour d'Appel au scrutin uninominal ou par listes, ce qui rapprocherait les élus des avocats et leur donnerait une forte légitimité de proximité. Naturellement, il y aurait un élu parisien. La composition semble proche de celle de l'actuel Conseil National des Barreaux. Toutefois, les deux éléments majeurs du changement seront la présence de bâtonniers en exercice et, d'autre part, le fait que, pour certains votes, on devra tenir compte d'une double majorité, d'une part, la majorité des élus, et d'autre part, celle des voix représentées. Il s'agira des décisions normatives et de portée d'intérêt général ou ordinale. Elles devront être strictement limitées et définies. Seule l'attribution de ces voix permettant aux Bâtonniers de procéder aux votes en fonction de leurs mandants, pourra être acceptée par les Ordres les plus nombreux et notamment par le Barreau de Paris qui passera, avec cette réforme, de 16 élus à un élu mais pesant plus de 20.000 voix, correspondant au nombre d'avocats parisiens. Il faudra toutefois trouver un système de limitation car un barreau ne peut être majoritaire.

Enfin, il faut que dans cet Ordre National soient présents les Présidents en exercice des syndicats et des organismes techniques. Naturellement, le statut de ces derniers devra être revu. En premier lieu, l'Ordre National devra nécessairement être présent dans les conseils d'administration avec un poste de vice-président de droit.

En second lieu, certaines institutions devront être directement intégrées dans l'Ordre National. Les CARPA, au niveau local, devront être intégrées dans les Ordres en devenant ainsi une division. L'UNCA sera intégrée à l'Ordre National. Elle n'a nullement démérité et a fait un travail important d'harmonisation, de développement et de protection de nos CARPA. Lors de la création des CARPA, seuls quelques avocats étaient adhérents. Actuellement, l'adhésion est obligatoire. L'existence d'une association indépendante des Ordres ne se justifie plus. C'est une illusion que de laisser la CARPA indépendante. Dans de nombreux barreaux, c'est le Bâtonnier qui en est le président. Par ailleurs, il faut passer au stade d'une « CARPA nationale ». Si nous voulons donner à l'Ordre National les moyens de son développement, il faut regrouper les sources de financement. Comme il ne s'agit pas d'ajouter de nouvelles cotisations, il faudra donc utiliser l'argent que permet de générer les CARPA. Sans diminuer les ressources des Ordres, issues, d'une part, des cotisations des avocats, d'autre part, de la gestion des fonds CARPA permettant de régler des dépenses indispensables, on peut, par le regroupement, générer de nouveaux produits financiers qui permettront à l'Ordre National d'avoir des moyens conséquents. Comme l'indique le Bâtonnier CHARRIERE-BOURNAZEL « L'essentiel est que chaque barreau à proportion des fonds qu'il manie et dépose, retrouve, en contrepartie, la rémunération qui doit lui revenir pour faire face à ses besoins locaux » . Ainsi, cette mutualisation permettra de bénéficier de nouvelles ressources et d'entreprendre de nouvelles actions.

J'ai bien conscience que ces développements, ces détails génèreront de nouvelles oppositions à l'Ordre National. On veut bien d'une représentation nationale forte, d'un gouvernement de la profession mais il convient de ne contrarier en rien aux les intérêts spécifiques. Il ne faudrait pas toucher au système féodal que nous connaissons.

Il reste quelques questions secondaires. Ainsi, certains souhaitent que le Président de l'Ordre National soit élu au suffrage universel. C'est un risque important. En premier lieu, on créerait, de nouveau, un conflit de légitimité entre une assemblée issue, soit du vote des bâtonniers, soit du vote général et un Président qui serait au-dessus de l'assemblée, directement issu du suffrage universel direct. Ce serait un Président « Vème République ». Le Bâtonnier de l'Ordre National aurait quasiment tous les pouvoirs et serait un président « omniprésent et omnipuissant ». Nous connaissons, ailleurs, les limites de ce système... Cela ne pourra qu'encourager l'exercice solitaire du pouvoir.

Enfin, l'élection au suffrage universel par 55.000 avocats suppose des moyens financiers considérables, d'une part, pour les candidats, d'autre part, pour l'institution aux fins de l'organiser. Les candidats seront donc, soit présentés par les syndicats qui investiront leurs faibles ressources financières dans cette élection, soit soutenus par des firmes ou par un barreau qui entendrait dominer les autres.

Les tendances bonapartistes doivent être écartées.

Il faudra, enfin, définir la durée du mandat. Il ne pourra s'agir, pour le collège ordinal, que de bâtonniers en exercice. Dès lors, soit on fixe la durée du mandat du Bâtonnier de Cour d'Appel à trois années, soit on ramène la durée des membres de l'Ordre National à deux années. Quelque soit la solution, il faudra impérativement prévoir la possibilité de renouvellement pour la même durée.

Nous vivons sur l'idée qu'un Bâtonnier ne peut se représenter. Il s'agirait d'une avancée de la démocratie. Or, justement, la démocratie c'est pouvoir se soumettre au suffrage des confrères, présenter son bilan, faire voter sur son programme. Nous constatons des situations aberrantes. Certains bâtonniers ont fait un travail admirable et sont - au bout de deux années - aimés et respectés de leurs confrères. Ils doivent abandonner leur mandat pour laisser leur place à un nouveau bâtonnier qui, finalement, n'aura cédé qu'à l'amicale pression de ses confrères et n'aura pas la même volonté de réussir ou de servir le Barreau. Cette situation n'existe pas dans la plupart des pays européens et, sans retenir les exemples italiens ou espagnols de renouvellement sans limites (et « l'éternité, c'est long, surtout vers la fin » comme disait Woody Allen), il faut permettre la réélection pour un mandat de même durée (3 ou 2 années).

Naturellement, il ne s'agit que de premières suggestions et d'autres modalités seront nécessairement à préciser.

Michel BENICHOU

 

 

 

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