W Feugère :La nouvelle gouvernance de la profession

La nouvelle gouvernance de la profession :

un besoin de démocratie et de modestie

 

par William Feugère

Président national des Avocats Conseils d’Entreprise (ACE)

 

 

Notre profession débat actuellement de sa gouvernance. Cette question est essentielle, en dépend en effet l’efficacité de nos institutions et leur influence politique. Une réforme est désormais incontournable, qui concernera nécessairement l’ensemble des institutions existantes.

 

Le CNB a été ajouté aux barreaux, sans que la cohérence et l’articulation de l’ensemble ne soient parfaitement assurées. Il a désormais près de vingt ans, l’âge de la maturité qui permet d’envisager sereinement des améliorations, bénéficiant de l’expérience des mandatures passées.

 

Les barreaux, structures multiséculaires, demeurent indispensables, ce qui n’empêche pas leur réforme. Les avocats doivent pouvoir s’adresser à une instance de proximité. Le rôle des barreaux est d’aider les avocats, de résoudre les conflits qui peuvent naître entre eux, de répondre à leurs interrogations déontologiques, et de les protéger, garantissant leur indépendance et le caractère absolu de leur secret. Aucune instance nationale ne parviendra jamais à assurer ce contact direct et immédiat.

 

Pour autant, la proximité ne s’entend plus aujourd’hui, avec les nouvelles voies de communication et à l’heure de la dématérialisation des procédures, comme au XIXème siècle. L’échelon régional est aussi roche désormais que celui autrefois du département.

 

C’est pourquoi, la proximité ne s’entend plus aujourd’hui, avec les nouvelles voies de communication et à l’heure de la dématérialisation des procédures, comme au XIXème. L’échelon régional est aussi proche désormais que celui autrefois du département.

 

C’est pourquoi l’idée progresse d’instituer des barreaux régionaux (au niveau des régions administratives, pertinent économiquement, ou des cours d’appel si l’on reste dans une optique judiciaire dont l’influence tend à décroître). Bien entendu, cela ne saurait consister en l’ajout d’un échelon aux barreaux existants. Comment expliquer aux avocats, qui pour certains peinent à régler leurs propres charges, le surcoût induit par une superposition d’institutions ? Ajouter des locaux, du personnel, des fournitures, etc. ? La création de barreaux régionaux n’a d’intérêt que pour rationaliser et économiser, donc pour se substituer aux barreaux existants.

 

Des barreaux régionaux, avec sans doute un bâtonnier délégué auprès de chaque tribunal de grande instance, interlocuteur judiciaire du tribunal et du parquet, voilà qui serait un progrès.

 

Mais cette réorganisation devra bien entendu dépasser l’échelon local et concerner également le niveau national.

 

On peine à comprendre que la CARPA ne soit pas une instance nationale, placée sous la surveillance du Conseil national des barreaux, pour assurer un contrôle encore plus efficace des maniements de fonds dans l’intérêt non seulement du public mais aussi de la profession, et pour assurer une meilleure négociation des placements financiers.

 

Quelles économies pourrions-nous réaliser si des initiatives locales – telles la chance maternité – pourraient être reproduites à un échelon national ? Peut-être pourrions-nous enfin envisager une mutuelle santé collective, ou des systèmes de financement pour assurer le développement des cabinets ?

 

Les divisions nous affaiblissent politiquement et économiquement.

 

« Il faudra revoir évidemment le rôle du CNB et sa composition. Il est essentiel qu’il soit en lien direct avec les barreaux »

 

Le Conseil national est né avec cet objectif : représenter seul la profession auprès des pouvoirs publics, en même temps qu’organiser la formation des avocats, gage de leur compétence. Cette nouvelle institution a démontré son utilité et s’est imposée comme essentielle. Mais ses moyens demeurent limités.

 

Pur assurer que le CNB s’exprime au nom de tous, on a imaginé que le bâtonnier de Paris et le président de la Conférence des bâtonniers y soient intégrés, en qualité de vice-présidents de droit. Il faut admettre cependant que le résultat est mitigé. Auprès des pouvoirs publics, ce sont souvent trois interlocuteurs qui continuent à se présenter, et non un seul. Les discordances demeurent, qu’on a pu constater notamment aux dépens de la fusion avec les conseils en propriété industrielle, pourtant décidée sans ambiguïté par l’assemblée générale du CNB.

 

Il faudra revoir évidemment le rôle du CNB et sa composition. Il est essentiel qu’il soit en lien direct avec les barreaux. Sa légitimité et sa position de représentant national.

 

Quand l’avocat dit : « Je vais plaider la relaxe », ça vous paraît normal, mais quand l’accusation dit : « Je vais soutenir mon écrit », ce serait scandaleux. Qu’est-ce que cela signifie ?

 

G.P. : Parlons de l’affaire de Bobigny dans laquelle des magistrats ont été mis en cause par le ministre de l’Intérieur.

Le procureur général de la Cour de cassation a dit à cette occasion que la justice avait été brocardée…

 

J.-C. M. : Je crois très sincèrement que la posture des Britanniques vis-à-vis de la justice est excellente. Ils ont un respect de l’institution judiciaire et la seule voie de critique des décisions de justice sont les voies de recours.

 

G.P. : Est-ce que la justice a les moyens de fonctionner. Prenons l’exemple de la garde à vue. Qu’est-ce qui est prévu ?

 

 

J.-C. M. : Beaucoup de justiciables placés en garde à vue sont des gens impécunieux pour lesquels se posera la problématique de l’avocat commis d’office.

 

Nous sommes depuis quatre ans en période crise, où tous les départements ministériels sont astreints à des réductions de budget.

 

Le tribunal de Paris, pour parler de ce que je connais, est astreint lui-même à des coupes budgétaires extrêmement importantes qui ne concernent pas les frais de justice. Les frais de justice sont engagés, les investigations et les mesures civiles ou pénales qui doivent être prises en charge par les frais de justice le sont, et le sont de manière importante.

 

Notre budget de frais de justice va affleurer les 35 millions d’euros cette année, pour le seul tribunal de Paris.

 

« Beaucoup des justiciables placés en garde à vue sont des gens impécunieux pour lesquels se posera la problématique de l’avocat commis d’office ».

 

 

 

 

G.P: Est-ce qu’il a le risque d’une justice managériale ?

 

J.-C. M. : Non, elle le serait si on quantifiait par exemple le nombre d’expertises par juge, ou le nombre d’écoutes téléphoniques par policier, ce qui n’est pas le cas. En revanche, il faut que chacun des acteurs de la justice sache que ce qu’il fait à un coût, et que l’on ne vit pas dans un monde éthéré où rien ne coûte rien. Cela ne veut pas dire qu’on s’empêche de le faire, mais que l’on réfléchit à son utilité.

 

G.P. : Vous avez soutenu, au procès de Jacques Chirac, la question prioritaire de constitutionnalité déposée par l’un des avocats de la défense sur la prescription des délits financiers dissimulés. N’est-il pas étonnant, pour l’ancien du pôle financier que vous êtes, de prendre position en faveur de cette QPC qui pourrait mettre en question la jurisprudence établie par la Cour de cassation dans cette matière ?

 

J.-C. M. : Je ne suis pas qu’un ancien du pôle financier puisque je suis toujours procureur de la République de Paris, dont dépend le parquet financier. Si vous avez bien entendu mes réquisitions, j’ai soutenu l’admissibilité de la question prioritaire de constitutionnalité, ce qui n’emporte en rien adhésion à la critique constitutionnelle formulée dans cette question.

 

Propos recueillis par Clémentine Kleitz

Et Pierre Rancé

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