19/03/2007

Mlle Guillaine de Barbentane par Laurent Greilsamer

medium_APPEL_DU_18_JUIN.jpgCela se passe sous l'Occupation. Après mille péripéties, une jeune Française parvient à pénétrer dans l'Hôtel Carlton, dont le bâtiment a été réquisitionné par les Allemands. Elle s'appelle Mlle Guillaine de Barbentane.medium_LUCIE_AUBRAC.jpg

Son père, décédé, fut un grand cavalier, ancien du Cadre noir de Saumur. Exquise, fragile, éplorée, elle explique à son interlocuteur, un colonel chef des services économiques de la région lyonnaise, son désir d'épouser au plus vite un prisonnier, François Vallet, dont elle attend un enfant, sous peine d'être frappée de déshonneur.


Persuasive, la jeune femme obtient des renseignements sur son fiancé : il n'est pas mort, mais il est mêlé à une grave affaire, on le soupçonne d'être un cadre de la Résistance.

Mlle de Barbentane se moque bien de ces précisions : elle répète au colonel qu'elle veut un mari. Elle le charme, l'apitoie et le corrompt. Le colonel finit par la recommander à un lieutenant de la Gestapo. Rendez-vous est pris. Elle apprivoise le lieutenant. Elle revient. Il accepte une caisse de bouteilles de cognac. Il ordonne au commandant du fort Montluc de faire transférer dans son bureau le dangereux François Vallet pour interrogatoire.

Et là, Mlle de Barbentane peut le regarder droit dans les yeux en exigeant qu'il consente au mariage. Ce résistant doit être fusillé ? Elle est têtue. Ils s'uniront selon le protocole du mariage in extremis, procédure rarissime. Jour après jour, elle noue des contacts, prépare des caches, des stocks de provisions. Quelques semaines plus tard, elle participera avec un groupe de corps francs à la libération de son fiancé lors de son transfèrement du siège de la Gestapo au fort Montluc. Mlle de Barbentane avait du cran. Elle avait l'allure altière. Elle était l'audace même.

On aura reconnu Lucie Aubrac, morte la semaine dernière à l'âge de 94 ans. En libérant François Vallet, le 21 octobre 1943, elle sauvait en réalité pour la troisième fois Raymond Aubrac, son mari, l'un des dirigeants du mouvement Libération. Par amour et par obstination.

Car Lucie Aubrac ne s'avouait jamais vaincue. Accepter la défaite ou renoncer ne faisaient pas partie de ses catégories mentales. Elle était d'un bloc. Elle avait le don de penser large et d'être attentive aux détails. Elle alliait l'intellectualisme et le bon sens. La guerre ne lui était pas tombée sur la tête : passionnément pacifiste, puis communiste dans les années 1930, elle avait assisté à la montée des fascismes. Elle avait résisté avant même qu'il soit question de Résistance.

A l'époque glauque de la collaboration, elle avait recréé avec ses camarades une fraternité et une noblesse disparues. En ce temps-là, les pseudonymes en disaient long. Lucie Aubrac (en réalité Lucie Samuel) était devenue Mlle Guillaine de Barbentane grâce à l'habileté de Pierre-des-Faux-Papiers.

 De même qu'un autre grand résistant, le poète René Char, était devenu le capitaine Alexandre, épaulé par Arthur-le-Fol, l'Ami-des-Blés, le Nageur et tant d'autres. La mort rôdait : il fallait la faire reculer pied à pied, sachant le risque toujours présent, imminent. La vie était cernée, tissée de peurs et de trahisons, de grand courage aussi. "Le monde clandestin était un monde d'enfants qui traçait ses propres coordonnées et échappait à tout", a pu dire Emmanuel d'Astier de la Vigerie, fondateur du groupe Libération. On retiendra de Lucie Aubrac, alors mère d'un petit garçon et enceinte d'une petite fille, cette rage de lutter et d'agir. Libre mais traquée, elle finira par s'envoler dans un coucou, avec mari et enfant, pour Londres, en février 1944. Un message de la BBC lui en avait fait la promesse : "De Carnaval à Mardi gras : ils partiront dans l'ivresse !" Cela sonne comme du Paul Eluard. Lucie Aubrac n'était pas une sainte, c'était une femme rare, debout.

Article paru dans le mondu du 20.06.07

22:30 Publié dans JUSTICE et LIBERTES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : justice |  Facebook | | | Pin it! |  Imprimer | | |

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