07/11/2008
Un avocat analyse le nouvel "étatisme"
Les structures juridiques à l'épreuve de la crise financière (source les echos du 7.11)
Des réponses communes à la crise financière
Les crises justifient un appel à l'Etat et rendent légitimes des formes d'interventionnisme sinon inédites du moins originales
Me DIDIER MARTIN avocat au Barreau de paris
Comme il existe un droit adapté à la prospérité économique, il existe sans nul doute un droit de la crise, avec ses particularismes et ses caractères propres. L'histoire des crises montre comment le droit doit s'adapter à des situations imprévues et exceptionnelles. Les crises favorisent le relâchement des droits des créanciers et la faveur pour les débiteurs. En 1936, Ripert, célèbre doyen de l'Université de Paris, pouvait signer une chronique au « Dalloz » sur « le droit de ne pas payer ses dettes » en commentant les textes qui, depuis plusieurs années, accordaient des moratoires ou offraient aux débiteurs la possibilité d'obtenir des délais de paiement. Ne soyons pas annonciateur du pire. Toutefois les banques, relevons-le, se sont déjà engagées à proposer des solutions aux clients éprouvant des difficultés pour dénouer les crédit-relais, évoquant expressément la révision des conditions de vente du bien, l'allongement de la durée des prêts, etc.
Les crises justifient également un appel à l'Etat et rendent légitimes des formes d'interventionnisme sinon inédites du moins originales. Sous ce second aspect, la plupart des Etats ont dû faire la part belle à la puissance publique, devenue remède face à l'échec d'une forme de capitalisme considéré comme débridé. Le droit, cette fois, livre déjà les premiers enseignements à travers les choix structurels qui ont pu être faits. Face à une situation comparable, tous les Etats n'ont ainsi pas pris les mêmes options. Si les Etats-Unis ont décidé de prendre des participations significatives dans des banques cotées, d'octroyer des prêts à taux élevés aux établissements en difficulté ou encore de procéder au rachat d'actifs illiquides, le Royaume-Uni a de son côté choisi de garantir directement le remboursement de prêts et de nationaliser des banques proches de la faillite. C'est une troisième voie que la France a, quant à elle, adopté via un plan de sauvetage de 360 milliards : le gouvernement a dans le même temps créé une société de refinancement destinée à lever des fonds grâce à la garantie de l'Etat et décidé la prise de participations en fonds propres dans les banques.
Prérogatives exceptionnelles
La première structure mise en place prévoit que l'Etat accorde sa garantie aux titres de créances émis par une société de refinancement et ce afin de permettre l'octroi de prêts aux banques. Le législateur permet à cette société de lever des fonds là où les banques peinent à se refinancer. L'Etat est là, mais sous une forme bien particulière. La structure constituée est une forme d'hybride, marquant, si besoin en était, la nécessaire adaptation du droit et des formes légales aux exigences du moment. Voilà ainsi la SRAEC constituée en entité de droit privé, tandis que l'Etat, bien que minoritaire avec 34 % du capital (les 66 % restant étant détenus par 7 banques), se voit conférer des prérogatives exceptionnelles : la loi soumet ainsi à agrément du ministre les statuts et les dirigeants de la SRAEC ; de même un commissaire du gouvernement reçoit un droit de veto sur les décisions qui pourraient affecter les intérêts de l'Etat.
L'activité de la SRAEC est d'ailleurs entièrement encadrée par l'Etat. Seules les émissions de titres de créances répondant à des conditions déterminées pourront bénéficier de sa garantie (emprunts émis avant le 31 décembre 2009, d'une durée maximale de 5 ans), tandis que les conditions d'accès des banques aux prêts de la SRAEC exigent qu'elles aient conclu avec l'Etat une convention fixant des engagements pour le financement de l'économie. Le tout sous contrôle d'un personnage nouveau, nommé médiateur du crédit, mais sans pouvoirs à ce jour de coercition et de sanction sur les établissements. Le gouvernement a enfin d'ores et déjà encadré la répartition des fonds levés par la SRAEC en décidant qu'elle s'effectuera en fonction de la taille de bilan et du montant des encours de crédit clientèle de chaque banque.L'hybridité ne s'arrête pas à cette mixité des droits public et privé. La SRAEC va aussi poursuivre une activité de banquier sans que la loi ne lui ait conféré la qualité d'établissement de crédit ou encore l'est soumise aux ratios prudentiels applicables aux banques. Ses conditions d'exploitation sont toutefois soumises au contrôle de la commission bancaire !
Le second volet du plan français révèle à son tour cette manière toute française de faire entrer l'Etat dans le jeu capitaliste. La SPPE, société constituée pour le sauvetage de Dexia et détenue à 100 % par l'Etat, a vocation à renforcer cette fois les fonds propres des banques par une prise de participation temporaire au capital ou par apport en quasi fonds propres (via la souscription de titres subordonnés émis par les banques). L'Etat reprend ainsi la direction de l'économie par l'innovation juridique ou du moins l'adaptation des structures existantes. Si la crise conduit à rigidifier les règles économiques, elle fait appel à l'assouplissement du droit.
18:50 Publié dans La fonction d'avocat | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : didier martin, sppe | Facebook | | | | Imprimer | |
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