C'est un petit livre de 52 pages, à la fois passionnant et frustrant. Passionnant parce qu'il pose une question-clé: l'effondrement de la base électorale du Parti socialiste est-il dû à un glissement tectonique de la société française vers la droite (idée reçue) ou bien (nouvelle hypothèse) ne serait-ce pas plutôt le logiciel du PS, datant globalement des années 80, qui mériterait d'urgence d'être réactualisé ? Frustrant parce que ceux qui donnent leur point de vue -sous la houlette de François Rebsamen, le nouveau ministre du Travail, qui préface l'ouvrage- hésitent sur la réponse.

Publié par la Fondation Jean-Jaurès, un think tank dirigé par le strausskahnien Gilles Finchelstein, l'opuscule intitulé «Droitisation en Europe. Enquête sur une tendance controversée» répond, sans le dire, aux analyses de Terra Nova, autre think tank, plutôt rocardien, dirigé aujourd'hui par l'ex-patron de la CFDT François Chérèque.

Pour Terra Nova, la gauche moderne ne doit plus être obsédée par un prolétariat en voie de disparition et par un électorat populaire qui se rétracte. L'avenir du PS, c'est une nouvelle alliance urbaine: les jeunes, les femmes, les immigrés (voire les sans-papiers).

Pour la Fondation Jean-Jaurès, jouer cette carte-là en abandonnant de facto l'électorat populaire à ses angoisses d'une part, en ne voyant pas d'autre part que, sur bien des sujets, l'ouverture d'esprit est bien supérieure à ce que l'on prétend chez les Français de 2014 en général (chez les moins de 35 ans en particulier), c'est aller droit à l'échec. Un échec habillé de considérations savantes et ambiguës sur la droitisation générale de l'Europe et de la France sous les coups de boutoir de la crise.

François Rebsamen reproche à la gauche française, à la différence de l'Allemagne, de ne pas prendre à bras-le-corps les thèmes de la sécurité et de l'immigration. Et de se taire sur «le danger potentiel lié à l'extrémisme religieux» et sur «l'islamisme extérieur» qui «pénètre notre pays par l'immigration».

Jérôme Fourquet (de l'Ifop) fait observer que, y compris sur le mariage gay, les jeunes Européens (Français inclus) sont «plus ouverts et tolérants que leurs aînés» et que, sur l'acceptation de l'immigration, s'il y a un écart impressionnant de 23 points, ce n'est pas tant entre gauche et droite qu'entre les catégories socioprofessionnelles dites inférieures (CSP-) et les classes sociales aisées (CSP+).

Ernest Hillebrandt (de la Fondation social-démocrate allemande Friedrich-Ebert) est le plus tranchant, le plus dérangeant aussi pour le PS (et pour Terra Nova): jamais, écrit-il, les sociétés européennes n'ont été «aussi libérales, permissives et comopolites qu'aujourd'hui». Une partie de la gauche, pour décoder tout cela, invoque une droitisation de la société: ce qui se joue en réalité, selon Hillebrandt, c'est moins un glissement vers la droite qu'un clivage qui s'accentue (voire un divorce) entre les positions des élites libérales d'une part, «les sentiments et les valeurs de la majorité des populations en Europe», de l'autre.

Il met les points sur les "i": «Ce n'est pas nécessairement être de droite que de penser que la délinquance augmente ou que la Sécurité sociale fait l'objet d'abus. La dynamique est moins celle d'une société glissant à droite que celle d'une gauche s'éloignant des systèmes de valeurs de son électorat traditionnel», dit Hillebrandt qui, au passage, invite la gauche à prendre conscience de l'évolution de la droite en Europe, «beaucoup plus décontractée, gay-friendly et bling-bling qu'il y a cinquante ans». Et d'asséner: «La gauche doit déboboïser son langage autant que sa vision du monde».