C'est une pantalonnade triste. De l'immense émotion née de l'affaire d'Outreau - treize innocents soupçonnés de pédophilie, séparés de leurs enfants et jetés en prison - il ne reste plus grand-chose. Pas même une loi forte qui puisse marquer qu'il s'est passé quelque chose d'étrange au pays de Voltaire au début des années 2000.
De ce fiasco judiciaire, on se rappelle pourtant le premier procès d'assises, les mensonges de Myriam Badaoui, l'accusation qui s'effondre, la justice qui reste sourde et garde en prison une partie des innocents. On se souvient du procès en appel, de la libération des accusés, ces humiliés jetés aux chiens puis fêtés en héros. On a aussi en mémoire l'immense repentance manifestée alors par l'autorité judiciaire, le pouvoir législatif et l'exécutif.
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LE DOSSIER LEGISLATIF EN COURS
C'en était tout à la fois comique et tragique. Le procureur général de Paris en personne s'était rendu dans l'enceinte de la cour d'assises pour absoudre devant les journalistes les accusés alors même que le jury populaire, retiré dans la salle des délibérations, n'avait pas encore rendu son verdict. Le président de la République, de sa plus belle plume, adressait à chacun des innocents une lettre de compassion et de soutien. Le premier ministre recevait à Matignon les Treize pour les entendre et les rassurer. "Plus jamais d'Outreau !" Tel était le cri unanime et le serment des plus hautes autorités de l'Etat. Seuls les juges restaient muets : aucun des soixante magistrats ayant eu connaissance, à un titre ou à un autre, de ce lourd dossier ne se considérant responsable et n'estimant de son devoir de présenter ses excuses. Le garde des sceaux s'était excusé en leur nom - "Ce sont les excuses de l'institution judiciaire que je représente" - et cela semblait les délivrer une fois pour toutes. Comme si l'expression d'un repentir, chez les juges, relevait de l'impossible. Comme si leur langue si particulière pour une oreille profane ne pouvait intégrer ce mot si simple et si beau : pardon. Une bonne année a passé depuis cette déroute judiciaire. La France entière a suivi le témoignage des Treize à la télévision (première pierre à la démocratie participative naissante). Elle a écouté le jeune juge d'instruction Fabrice Burgaud, ses pairs et ses supérieurs hiérarchiques. Et chacun a eu le vertige, chacun a compris la nécessité de réformer en profondeur un système dépassé. Les parlementaires ont travaillé au sein d'une commission d'enquête, un rapport a été rendu, une loi décidée, préparée, étudiée, rabotée, enfin votée a minima de ses ambitions. La voilà aujourd'hui partiellement censurée par le Conseil constitutionnel sur deux points décisifs : la définition de la faute disciplinaire du juge et la saisine par le justiciable du médiateur de la République. Les Sages font observer que pour sanctionner un juge il faut que la décision de justice concernée soit devenue définitive. Ils font aussi remarquer que la saisine du médiateur de la République reviendrait à ne pas respecter l'indépendance de l'autorité judiciaire et la séparation des pouvoirs. Bref, la loi historique promise se retrouve en haillons et les juges entre eux. Leurs syndicats parlent d'une "victoire du droit" et donnent plus que jamais l'image d'un corps d'intouchables. Qui jugera les juges ? Pas nous ! Pas eux... Ils n'y consentent qu'avec d'infinies précautions. Les dossiers évoqués et jugés par leurs pairs portent bien davantage sur des comportements privés (attouchements sexuels, pédophilie, vols, concubinages avec d'anciennes prostituées, etc.) que sur des pratiques professionnelles fautives. La République peut-elle indéfiniment s'en contenter ? Peut-elle encore remettre à plus tard ce qu'elle avait prévu de traiter hier ? Oui. Nous en avons maintenant la preuve. Laurent Greilsamer Article paru dans l'édition DU MONDE du 06.03.07