V de Senneville Derrière la refonte de la carte (06/12/2007)
Derrière la refonte de la carte,
des mutations des circuits judiciaires
par Valérie de Senneville
Derrière la réforme de la carte judiciaire, la mise en place des pôles de l'instruction et le regroupement des tribunaux de commerce bouleversent la physionomie de la justice pénale et civile.
L'une attise la colère des avocats et des magistrats contre la réforme de la carte judiciaire, l'autre, largement anticipée et négociée, passe pratiquement inaperçue : derrière la réforme de la carte judiciaire, des changements profonds bousculent, d'un côté, la voie pénale, de l'autre, la justice commerciale.
Au-delà de la suppression de 23 tribunaux de grandes instance (TGI) sur 181 et de 173 tribunaux d'instance sur 473, la mise en place des pôles de l'instruction dès mars 2008 va changer la physionomie de la justice pénale. Quant à la justice civile, à côté des regroupements de certains tribunaux prud'homaux, ceux opérés au sein de la justice consulaire se passent sans encombre.
Décryptage.
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A partir de mars 2008, un pôle de l'instruction sera mis en place par département (87 exactement). Ainsi, au regroupement annoncé d'ici à 2009 de 23 TGI se superpose la disparition (à la même date) des cabinets d'instruction dans la moitié de ceux restants. De quoi agacer sérieusement les avocats, les magistrats et les élus, qui craignent que ne se réduise encore l'activité juridictionnelle sur leur territoire. Hier, l'intersyndicale formée par le Syndicat de la magistrature et trois organisations de greffiers a appelé à un « blocage administratif des juridictions ». A Châteauroux, Vannes, Quimper, Beauvais... les avocats s'inquiètent et manifestent.
Les tribunaux retenus ont été dévoilés en même temps que la nouvelle carte judiciaire et les décrets devraient être présentés le 19 décembre aux fonctionnaires.
Mais, cette fois, Rachida Dati n'y est pour rien.
Les pôles de l'instruction ont été mis en place par la loi Clément du 5 mars 2007. Le but, dans le contexte post-Outreau, était de renforcer la collégialité de l'instruction : deux juges d'instruction pour juger une même affaire criminelle ou correctionnelle « complexe ». Des « pôles » seront donc mis en place regroupant moyens humains et matériels au sein d'un tribunal départemental, le tribunal d'origine gardant la compétence au fond (le jugement). Seules les affaires pénales ne nécessitant pas l'ouverture d'une instruction - comparutions immédiates, petits délits - resteront, à terme, dans les TGI non sélectionnés. Ainsi, par exemple, le projet de réforme de la carte judiciaire prévoit l'installation d'un pôle de l'instruction à Bourges, dans le département voisin du Cher, mais pas à Châteauroux, qui perdrait aussi le cabinet d'instruction de son TGI.
· Autre réforme, autres moeurs : le regroupement de 55 tribunaux de commerce sur 185 ne soulève aucune vague. C'est le contre-exemple, à tel point que Perrette Rey, la très emblématique présidente du tribunal de commerce de Paris, était invitée mardi dernier par l'Ecole nationale de la magistrature afin de livrer sa recette : les juges consulaires sont arrivés à la chancellerie avec une réforme clefs en main minutieusement mijotée depuis quatre ans. Dans un contexte de complexification du droit commercial et d'augmentation du traitement des entreprises en difficulté, le regroupement des petits tribunaux (la grande majorité des tribunaux de commerce ont en moyenne 12 juges, 5 pour les plus petits) devenait urgent. D'autant plus qu'en 1999 la réforme de la mixité voulue par Elisabeth Guigou n'était pas passée loin.
« Ce n'était pas une question de dévouement ou de compétence », insiste la présidente du tribunal de commerce de Paris, mais une question de crédibilité et de survie peut-être. En 2004, la Conférence générale des tribunaux de commerce a donc mis en place un groupe de travail qui, après un état des lieux théorique, « afin de rapprocher l'offre de la demande », et une étape « psychologique », afin d'expliquer la logique de la réforme, a abouti en octobre 2005 à un schéma directeur de la justice consulaire proposant le regroupement de 55 tribunaux...
C'est ce schéma qui a été repris par la chancellerie, cette dernière ayant du coup décidé de supprimer les chambres commerciales des TGI pour les transférer vers les TC. Pressés par le temps, les chefs de cours judiciaires ont dû, eux, faire leurs propositions à la chancellerie en moins de trois mois, quant à l'étape psychologique...
[ 06/12/07 ] les Echos
06:45 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : JUSTICE, carte judiciaire, politique | Facebook | | | | Imprimer | |