LE CHENE,L'OLIVIER et L'IDENTITE NATIONALE par des historiens (03/05/2007)

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LE CHENE ET L'OLIVIER

 

Alors que la question de l’identité nationale vient de faire son apparition dans la campagne électorale après des déclarations de notre confrère  Nicolas Sarkozy, des historiens ont analysé pour « La Croix », les défis auxquels l'identité nationale se trouve aujourd'hui confrontée et comment elle évolue au fil du temps.

Max Gallo est en convaincu : « Ce concept se trouve au cœur de l’œuvre de Michelet. Depuis, Ernest Renan, Marc Bloch et bien sûr Fernand Braudel en ont fait leur problématique centrale », souligne l’auteur de L’Âme de la France (1).

Quelle est, à ses yeux, la singularité de ce pays ? « Le droit du sol, par opposition au droit du sang. Le principe d’égalité, qui en découle.

Celui de laïcité, aussi, pour que les individus puissent être égaux, quelles que soient leurs convictions religieuses », énumère l’historien.

Pour lui, l’identité nationale française s’appuie aussi sur le rôle prééminent de l’État, tenu de réprimer les « tendances centripètes », ainsi que sur la langue, facteur d’unité, au même titre que l’école, qui « modèle » les futurs citoyens.

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Autre élément constitutif, précisément, le rapport individuel de chaque homme à l’État. Et, pour finir, « même si l’évolution juridique n’a pas toujours suivi, même si elle n’a obtenu le droit de vote qu’en 1946 », la place de choix réservée à la femme.

"Identité française" plutôt que "nationale"

Nombre d’historiens se reconnaîtraient sans doute dans ce socle de valeurs et principes, même si certains comme Alain Bergounioux, par ailleurs secrétaire national du PS aux études, refusent d’employer le terme d’identité nationale, lui préférant celui d’« identité française », « beaucoup plus ouvert, bien moins lié à l’histoire de la droite et de l’extrême droite françaises depuis l’affaire Dreyfus ».

La plupart cependant assument pleinement ce concept d’« identité nationale » même s’ils considèrent qu’il n’a pas vocation à demeurer immuable. Ainsi, pour René Rémond, qui vient de quitter la présidence de la Fondation nationale des sciences politiques, « l’identité n’est pas un musée, ni un conservatoire. La France a une capacité à créer et à innover. À condition de ne pas toucher aux principes généraux, son identité nationale est appelée à se développer. »

René Rémond établit un parallèle avec l’évolution de la langue : « À la commission du dictionnaire de l’Académie française, dont je suis membre, l’on introduit quantité de nouveaux mots empruntés à des langues étrangères. Ils enrichissent le français, mais n’affectent pas sa syntaxe, qui modèle la structure de l’esprit. »

 De la même manière, poursuit René Rémond, l’influence de la religion sur l’identité nationale a évolué. « Longtemps, on n’était français que si l’on était catholique. Puis une rupture est intervenue, à la Révolution. Certaines valeurs du christianisme, comme la personne, la liberté, l’ouverture sur le monde, sont restées au cœur de l’identité nationale, mais sous une forme sécularisée. Et aujourd’hui, le pluralisme et l’acceptation de la liberté religieuse font partie intégrante du corps de doctrine de l’identité nationale », explique l’historien.

 

L’identité nationale se doit d’être ouverte

 

Bien entendu, l’identité nationale se doit d’être ouverte, acquiesce Max Gallo. « Elle se modifie sous l’apport bénéfique de populations venues d’ailleurs. Mais il faut tout de même s’interroger sur la façon dont elle va évoluer, à chaque flux migratoire », soutient-il. Ce qui est en jeu, selon lui, ce n’est pas tant la culture ou l’origine spécifiques de certaines personnes, de certains groupes, qui, par exemple, ne reconnaîtraient pas pleinement les principes de laïcité et d’égalité des sexes.

 

 

C’est plutôt, dit-il, la « démission » des élites qui depuis les années 1920 « doutent de l’histoire nationale et considèrent la nation comme un concept obsolète ». « La France est le pays qui, à l’échelle de notre continent, compte le plus de couples mixtes entre Européens et non-Européens. Cela prouve bien la puissance assimilatrice des valeurs nationales.

Mais comment voulez-vous que le nouvel entrant adhère à l’identité nationale si celle-ci est considérée dans le pays même comme nulle et non avenue ? », interroge Max Gallo, en déplorant l’abandon du concept d’assimilation, au profit de celui d’intégration, puis de multiculturalisme, une route dangereuse qui, selon lui, mène tout droit au communautarisme.

 À en croire Michel Wieviorka, il est en tout cas indispensable de revenir aux fondements juridiques de l’identité nationale. « Il existe des critères objectifs pour déterminer qui en relève et qui n’en relève pas. On est Français ou on ne l’est pas… Mais si l’on veut définir qui est un “bon national” et qui ne l’est pas sur des critères autres que juridiques, on ouvre la porte à des dérives extrêmement graves », met-il en garde, tout en affirmant qu’« on a le droit de ne pas aimer la France, même si l’on tient d’elle son identité nationale ».

 

Interpellée par l'identité européenne

 

Une fois posé ce préalable, l’enseignant de l’École des hautes études en sciences sociales reconnaît que l’identité nationale française doit faire face depuis plusieurs décennies à un vrai défi, lié en partie seulement aux vagues migratoires successives, à savoir la poussée dans l’espace public de particularismes culturels ou religieux nouveaux.

« Toutes sortes de groupes formulent des requêtes au titre d’une identité autre que l’identité nationale. Cela a commencé dans les années 1960 avec l’éclosion des mouvements régionalistes. Puis, les juifs de France se sont affirmés dans l’espace public, les Arméniens ont émis des revendications portant sur la reconnaissance du génocide… Plus récemment, une partie de la population noire s’est mise à militer pour une condamnation officielle de la colonisation. » « La grandeur d’un pays consiste à reconnaître les différentes identités qui se manifestent sur son sol », veut croire Michel Wieviorka.

« Mais reste à savoir si elles doivent rester confinées dans la sphère privée et se subordonner à l’identité nationale. C’est ce que veut le modèle français traditionnel, un modèle qui, de nos jours, n’est plus guère opérant. »

 Il faut dire que l’identité nationale française se trouve également interpellée par l’identité européenne, quand bien même celle-ci demeure balbutiante. « Toute identité authentique est plurielle et non unique, estime le professeur de la Sorbonne Gérard-François Dumont. Elle est faite d’une dimension territoriale – le lieu où l’on est né –, nationale – le pays où l’on vit – et européenne, puisque la France appartient à l’Europe. »

Une aspiration à des valeurs idéales

D’après lui, avant 1989 et la chute du Mur, la question d’une identité européenne ne se posait pas. Elle apparaissait en creux, comme une défense par rapport à un monde sans liberté. « Aujourd’hui, elle s’exprime à travers une aspiration à des valeurs idéales, tension qui passe par des hauts et des bas, mais qui se nourrit de la différence des expériences et qui considère la pluralité linguistique et culturelle comme un facteur d’enrichissement », considère Gérard-François Dumont.

 Il y a une quinzaine d’années, cette notion d’identité européenne a donné lieu à une multitude de débats et autres colloques, souvent à l’initiative de Bruxelles. « Il y avait alors une grande espérance dans tous les pays de l’Union », se souvient Pierre Milza, auteur d’une Histoire de l’Europe, États et identité européenne (2.

 « Qu’en est-il ressorti ? Quelques parallèles, une histoire commune et une idée intéressante, celle que l’immigration favorisait l’identité européenne. On s’est aperçu par exemple que les familles italiennes ou polonaises établies en Lorraine avaient, lors de l’élection du Parlement européen, un vote plus pro-européen. Mais tout ceci est extrêmement fugitif. Qu’est-ce qui fait l’identité ? Une histoire commune ? Celle de l’Europe est en construction. Une religion commune ? Oui et non, car s’il y a eu une Europe chrétienne, l’Antiquité a connu une Europe païenne plus longue encore. Des éléments culturels ? C’est encore fragile car notre histoire est compliquée et surtout éclatée avec des ethnies différentes, des religions différentes et des langues différentes. Au risque de choquer, le meilleur facteur d’identité serait une langue commune. »

Des droits et des devoirs

Aux yeux de Florence Chaltiel, auteur de Naissance du peuple européen (3), il serait en tout cas « vraiment décalé, cinquante ans après la signature du traité de Rome, d’aborder l’identité nationale en faisant abstraction de la dimension européenne », et ce, même si le non français au référendum sur la Constitution révèle les limites du sentiment d’appartenance à l’Europe.

 « Pour l’heure, cette identité se définit aujourd’hui avant tout à travers une citoyenneté européenne qui inclut des droits et des devoirs. C’est en tout cas la première fois que l’on voit ce décrochage entre nationalité et citoyenneté. »

 Marie-Françoise MASSON et Denis PEIRON

 (1) Fayard, 608 p., 23€.

 (2) Hatier, 479 p., 12€.

 (3) Odile Jacob, 225 p., 24,50 €.

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