La loi Macron : la discrète OPA de l'Ordre des avocats de PARIS sur la profession d'avocat ? (24/12/2014)

La loi Macron : la discrète OPA de l'Ordre des avocats de PARIS
 
sur la profession d'avocat ?

 Sébastien SALLES  Avocat au Barreau de Marseille Membre du conseil de l ordre

 

 

Les avocats vont-ils se faire eux aussi uberiser ?

 

Source HUB AVOCAT

Le projet de loi MACRON a pour but déclaré de moderniser la profession d’avocat et de provoquer la réduction du coût d’intervention de l’avocat. Personne ne peut être opposé à de tels objectifs.

Pourtant, ce projet cristallise une opposition nette de la majorité des avocats en France. Exception notable, l’Ordre des avocats de Paris. Cette attitude est surprenante car un récent sondage a démontré qu’une majorité des avocats Parisiens était également contre ce projet de loi (sondage mené par le site Hub Avocat auprès de plus de 10.000 avocats).

L’Ordre des avocats du barreau de Paris se présente, à qui veut l’entendre, comme le barreau moderne prêt à la discussion ; contrairement aux barreaux de province et au Conseil National des Barreaux (C.N.B), crispés et corporatistes, qui refuseraient toute évolution de la profession.

Par exemple, le barreau de Paris est prêt à accepter l’élargissement de la postulation aux ressorts de Cours d’Appel. Le barreau de Paris est également prêt à accepter la création de l’avocat d’entreprise, ce que refuse la majorité des avocats en France.

Les avocats provinciaux seraient-ils plus réfractaires aux réformes ? Perdus loin dans leurs campagnes, seraient-ils ignorants des exigences de la modernité ? Le barreau de Paris est-il plus ouvert aux nécessaires évolutions du monde juridique moderne ?

Beaucoup le pensent fermement. Notamment ces fonctionnaires de ministères qui qualifient de « gesticulations » les manifestations organisées par le CNB et les barreaux  de province.

Ils ont tort. Ne connaissant pas la profession d’avocat, ils ne comprennent pas ce qui est réellement en train de se jouer avec la loi MACRON.

 

Par exemple, beaucoup d’avocats de Province s’inquiètent que la suppression de la postulation devant des petits TGI provoque la disparition des petits barreaux liés à ces TGI. Ceci aurait notamment pour conséquence de créer des déserts juridiques.

Les inquiétudes des barreaux de province sont-elles illégitimes ?

De l’aveu même de Madame le Garde des Sceaux, Madame Christiane TAUBIRA, il n’existe aucune étude d’impact sur une telle mesure. Cette navigation à vue ne peut que créer l’inquiétude parmi les avocats qui seront directement impactés par la suppression de la postulation devant leur Tribunal de Grande Instance.

En outre, le projet de loi MACRON prévoit généreusement que la région Ile-de-France est exclue de la réforme de la postulation. On comprend pourquoi le Barreau de Paris se sente peu touché par cette question.

En ce qui concerne les avocats, l’autre mesure phare du projet de loi MACRON consiste en la création du l’avocat  en entreprise.

Cette mesure est présentée par le Ministère de l’économie comme le moyen pour les juristes d’entreprise français de bénéficier du secret professionnel attaché aux correspondances d’avocats. Ceci permettrait ainsi aux juristes français d’être placés sur le même pied d’égalité que les juristes anglo-saxons qui bénéficient de la confidentialité de leurs études. Cette protection est connue dans le monde anglo-saxon sous le nom de « privilège ».

L’attente des juristes d’entreprise est légitime, mais il n’est pas nécessaire de leur donner le statut d’avocat pour que leurs études juridiques puissent rester confidentielles.

Pourquoi créer un avocat en entreprise ?  Pourquoi donner le nom d’avocat à un juriste qui ne pourra pas plaider, qui n’aura aucune liberté par rapport à son employeur… qui n’aura en réalité rien en commun avec un avocat ?

L’Ordre des avocats du barreau de Paris, parangon de la modernité, a réussi à se faire passer aux yeux de beaucoup de ministères comme le représentant de la profession d’avocats. Bien évidemment, seul le Conseil National des Barreaux est légitime à représenter la profession d’avocats. Le barreau de Paris n’étant légitime qu’à représenter les avocats de Paris.

Tour de force supplémentaire, le barreau de Paris est rentré directement en relation avec le ministère  d’Emmanuel MACRON, l’assurant de son soutien dans un projet de loi difficile. Raison pour laquelle le Ministre de l’économie n’a pas souhaité recevoir les représentants du Conseil National des Barreaux avant la manifestation nationale du 10 décembre dernier.

C’est pourquoi, le jeune Ministre de l’économie a cru bon défendre son projet de loi lors des universités d’hiver du barreau de Paris oubliant qu’il ne s’adressait pas à la représentation nationale des avocats.

Le malheureux  jeune Ministre de l’économie ne réalise pas qu’il est en réalité en train de se faire croquer par ce beau, puissant et très intelligent barreau de Paris.

Pourquoi l’Ordre des avocats de Paris ne s’inquiète-t-il pas plus de voir la création de l’avocat en entreprise signifier la fin de l’exigence d’indépendance qui doit être attachée aux avocats, comme ont pu le faire beaucoup d’avocats dont Robert Badinter ?

Le barreau de Paris est-il si loin de telles préoccupations ? Evidemment non. Mais la création de l’avocat d’entreprise présente de tels avantages pour lui qu’il fera tout pour sa création au détriment du bon sens. Quitte à lancer toute une profession, et les justiciables, vers un inconnu périlleux et liberticide.

Il faut comprendre que le barreau de Paris est un barreau puissant (il représente 75 % du chiffre d’affaires de l’ensemble des avocats de France). Pourtant il ne représente que 41% des avocats (soit 22981 sur les 56176 avocats Français).

Or le barreau de Paris, ou du moins une partie de ses représentants, n’accepte pas d’être soumis à la volonté du Conseil National de Barreaux dans lequel il reste minoritaire. Le projet MACRON peut lui permettre de s’émanciper de l’encombrant CNB.

Ce projet de loi prévoit spécifiquement que l’avocat d’entreprise serait « inscrit auprès d’un barreau sur une liste ad hoc ». Concrètement cela veut également dire que l’avocat d’entreprise devra payer des cotisations auprès de son ordre.

16.000 juristes d’entreprises sont susceptibles d’accéder au statut d’avocat d’entreprise. Or, 72 % des juristes d’entreprise exercent leur activité en Ile-de-France.

 L’inscription de près de 12000 avocats d’entreprise auprès du barreau de Paris aura une double conséquence :

Economiquement, cela veut dire que le barreau de Paris pourra compter, à terme, sur une entrée financière supplémentaire de 20 millions d’euros par an pour un budget annuel actuel de 50 millions d’euros (les cotisations annuelles d’un avocat à Paris sont en moyenne de 2000 €). On comprend l’intérêt financier de l’Ordre des avocats du Barreau de Paris. Ce n’est pas le seul.

Politiquement, la création de l’avocat d’entreprise signifiera que le barreau de Paris représentera réellement la moitié des avocats en France. Ainsi le barreau de Paris exigera de diriger le CNB qui lui sera soumis corps et âme, ou le quittera ce qui signifiera la mort du CNB.

Les avocats de province qui sont en contact avec les 3 quarts de la population française seront donc soumis à la vision du barreau de Paris, qui de fait, les dirigera. Les ordres locaux n’auront plus aucun poids. Concrètement, la profession d’avocat deviendra une profession de juristes d’affaires soumise à une hypercentralisation éloignée des préoccupations de la plupart des justiciables.

Emmanuel MACRON a hérité d’une loi qu’il n’avait pas préparée. Il ne connait pas particulièrement la profession d’avocat et a voulu se servir de l’allégeance du barreau de Paris pour justifier sa loi. Il n’a pas pris la mesure des conséquences d’une telle mesure, contrairement aux représentants du Barreau de Paris.

La création de l’avocat d’entreprise est une révolution qui mettra fin à cet avocat libéral défenseur des libertés publiques qui fait partie de la tradition française (ce qui n’est pas le cas dans le monde anglo-saxon). Cet avocat est encore majoritaire en France. L’intégration de l’avocat d’entreprise changera cette proportion.

Je crois en la bonne foi d’Emmanuel MACRON qui déclare vouloir moderniser la profession d’avocat sans vouloir changer sa nature profonde, et son rôle de défenseur des libertés publiques. Ignorant la profession d’avocat, Emmanuel MACRON n’a pas réalisé qu’il n’a été, probablement, que l’instrument d’une formidable OPA du barreau de Paris sur les avocats français…

Est-ce qu’une majorité de gauche, est-ce qu’un gouvernement de gauche assumera la disparation de l’avocat français traditionnellement défenseur des libertés publiques, avocat de proximité, au profit de l’avocat d’affaires parisien ?

 Maître Sébastien SALLES

Avocat , Membre du Conseil de l’Ordre des avocats de Marseille.

 

 

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