"On ne gouverne pas les avocats" (20/01/2012)

Christian Charrière-Bournazel : "On ne gouverne pas les avocats" 

 

Christian Charrière-Bournazel, candidat à la présidence du CNB :

Ma gouvernance mai 2011

 

 

Gouvernance, avocat en entreprise et interprofessionnalité... l'actualité de la profession devrait être intéressante cette année. Interview de l'ancien bâtonnier parisien, Christian Charrière-Bournazel, qui vient d'être élu à la tête du Conseil national des barreaux.

Par Marine Babonneau  Actuel Avocat

Vous venez d'être élu à la tête du CNB. Quelles seront les premières actions de votre présidence, même si je ne suis pas sûre qu'on puisse parler, pour le CNB, "d'actions" ?

Le CNB est un parlement. Il a eu le mérite de créer un espace où toutes les composantes de la profession sont réunies et peuvent se parler : les ordinaux de Paris, les ordinaux de Province, les syndicats de gauche, de droite, du centre, non politiques, techniques et puis les listes individuelles qui portent des revendications catégorielles. Que ce disparate puisse de temps en temps poser des questions et qu'on veuille rationnaliser la représentation des avocats à l'échelle nationale relève d'un débat que nous aurons. Mais j'insiste sur le fait que le CNB est un parlement, un lieu d'échanges où l'on s'oppose et où l'on se complète pour aboutir à une position unie et une voix unique. Avec la réforme que j'ai menée lors de mon bâtonnat parisien, le président en exercice de la Conférence des bâtonniers et le bâtonnier en exercice du barreau de Paris sont membres de droit du CNB, ce qui a permis de resserrer l'unité.

Cela dit, devant les pouvoirs publics, il y a toujours trois têtes… sans compter, quand il s'agit des questions techniques, du président de l'UNCA, par exemple.

Vous voulez me dire que le démon de la division est indissociable de l'identité de l'avocat. On a fait des progrès : je ne crois pas que, pendant la présidence de Thierry Wickers, il y ait eu entre le bâtonnier parisien, le président de la Conférence et le CNB des tensions.
Quant au rôle des organes techniques, il leurs revient de mettre leurs compétences au service de la profession quand il revient aux autres, le rôle de définir une politique et de la faire avancer.

Qu'allez-vous faire des résultats du référendum parisien qui ont montré que les avocats répondants souhaitaient un Ordre national et un président élu au suffrage universel ?

Référendum est un mot un peu fort dans la mesure où ce sont des questions qui ont été envoyées sans commentaires, sans préparation et sans véritable réflexion préalable sur ce que ça pourrait donner. Et, si j'ai bien compris il y a environ 7000 avocats qui ont voté ? Sur 23 500. Comme on ne sait pas trop ce que recouvre, dans leur esprit, l'ensemble de ces réformes, je ne crois pas que ça ait une grande importance. Mon opinion personnelle, qui peut être différente de celle du CNB – nous aurons l'occasion d'y réfléchir -, est qu'il faut maintenir des ordres partout où il y a un procureur, un président et un bâtonnier. Deuxièmement, il faut continuer la mutualisation les moyens – ce qui est déjà en cours notamment en ce qui concerne les conseils de discipline, les CARPA et les écoles du barreau. Troisièmement, concernant l'élection d'un président au suffrage universel, j'ai quelques mauvaises pensées. Une élection doit être démocratique, tout le monde doit avoir sa chance. Or, pour se faire connaître par plus de 50 000 avocats, vous rendez-vous compte des moyens qu'il faudra mettre en œuvre ? Cela représenterait une campagne énorme avec des moyens financiers considérables.

Ma mauvaise pensée est de me dire qu'un bâtonnier qui est en exercice sera tenté d'utiliser sa fonction et les moyens qu'elle lui donne pour se faire connaître en vue d'une élection future. Quelle sera, par ailleurs, la nature d'une assemblée dont le président est élu au suffrage universel et qui peut dire à tout moment qu'il a une légitimité supérieure. J'y vois la naissance d'une forme d'orgueil qui pour moi n'est pas compatible avec la démocratie. Je trouve plus sain qu'il y ait un parlement qui élit son président, mandataire des mandataires, dans une sorte de gestion des intérêts communs. Je préfère la démocratie parlementaire à la monarchie absolue et au bonapartisme. Concernant l'Ordre national, je n'aime pas cette idée. Nos ordres sont davantage calqués sur les ordres religieux gardiens de la règle et vigilants sur la sauvegarde de notre indépendance. Enfin, l'idée de gouvernance me déplaît. On ne gouverne pas les avocats. Un avocat est par nature indépendant et solitaire même s'il exerce au sein d'un groupe. Il fait ses choix de conseil, de défense, en toute responsabilité, au regard de sa conscience, de la loi et de sa déontologie. Il ne marche pas au pas de l'oie !

Que faut-il modifier alors dans la représentation des avocats ?

D'abord, les règles d'élection. Faut-il élever le seuil de recevabilité de petits groupes ? Probablement. Faut-il maintenir un collège ordinal Paris et un collège Province ? La question est posée. Avec toujours à l'esprit, que l'on veuille ou non, le réflexe de défense de la Province à l'égard de Paris. S'il n'y avait qu'un seul collège ordinal, on risquerait d'être face à système dans lequel des forces centrifuges s'exprimeraient. Ce que je veux néanmoins créer est une composante disciplinaire, qui n'aura pas pour but de doubler les ordres, mais de servir de juridiction de règlements lorsque, par exemple, un bâtonnier est mis en cause disciplinairement. Cette composante disciplinaire interne au CNB pourrait en même temps avoir pour fonction d'être une juridiction d'appel dans certains cas d'infractions déontologiques, avec échevinage par exemple. Ce serait une manière de rendre la juridiction disciplinaire encore plus impartiale et objective.

Un autre sujet qui va peut-être occuper le CNB dans les mois à venir est le projet de loi créant l'avocat en entreprise. L'avez-vous eu entre les mains ?

Pas encore. Je ne crois pas qu'un projet de loi sur l'avocat en entreprise puisse être débattu par cette législature en fin de course et soumise à réélection dans moins de 100 jours. Je ne crois pas que le Parlement ait les moyens de voter une loi de cette nature.

Mais la Chancellerie pourrait parfaitement soumettre, comme elle l'a promis d'ailleurs, le texte à la négociation des parties concernées. Pour paraphraser Thierry Wickers, il est sûr qu'au moins la moitié de la profession sera mécontente du projet, et il n'est pas sûr que la moitié restante en soit satisfaite.

Le président Thierry Wickers, pour qui j'ai la plus grande amitié, aurait pu faire valoir sa voix prépondérante (sourire). Il ne s'agit pas de polémiquer sur un sujet qui est important. Et qui suscite des interrogations.

Et vous, êtes-vous pour ou contre cet avocat en entreprise ?

Tout dépend. Est-ce que vous voulez dire que tous les juristes d'entreprise deviendront avocats ? Je ne suis pas d'accord. La réforme est de savoir si, demain, un avocat peut devenir l'avocat de l'entreprise en étant salarié de l'entreprise et installé dans l'entreprise. J'y suis favorable sous certaines conditions. La première, c'est qu'il n'y ait pas deux régimes de secret, dont un au rabais pour l'avocat en entreprise. Ensuite, l'avocat salarié de l'entreprise devenant totalement dépendant de l'entreprise ne pourra pas plaider pour elle. Autre point : que se passe-t-il si l'avocat est licencié pour une question déontologique ? On peut imaginer deux solutions : un renvoi devant le bâtonnier ou devant une commission paritaire avocat-patronat. Ensuite, imaginer un avocat qui pourrait être à la fois avocat de son entreprise et avocat ailleurs est malsain. Soyons clair, ce statut ne va pas intéresser toutes les entreprises, nous pourrons donc trouver une solution équilibrée. On ne brusquera personne mais nous ferons en sorte de démontrer que la profession peut y gagner.

Y aura-t-il d'autres réformes à porter ?

Nous allons travailler sur l'interprofessionnalité avocats / experts-comptables. Je ne parle pas d'interprofesionnalité capitalistique. Je parle de fonctionnement commun, dans le même local, d'avocats et d'experts-comptables. Une entreprise qui a un enjeu économique quelconque doit pouvoir rencontrer dans les mêmes locaux les deux professions. C'est assez simple : on peut créer une structure, qui ne soit pas une société, mais un GIE. Les décisions politiques qui seront prises dans le cadre de ce GIE, même si la participation aux frais n'est pas la même parce que les rapports économiques sont différents, devront l'être à égalité de voix. Ensuite, c'est la déontologie la plus stricte ou la plus exigeante qui devra prédominer. Pour régler les difficultés déontologiques éventuelles, on peut créer une sorte de chambre interdisciplinaire. Sur le plan des incompatibilités, les règles seront également simples : un expert-comptable n'est pas l'expert-comptable de la société dont son associé est CAC , même chose pour l'avocat. Reste la question du secret professionnel, notamment au regard de la directive anti-blanchiment puisque les experts-comptables ont un régime plus rude que le nôtre. Là, il faudra envisager une modification des textes dans l'intérêt du secret. Tout cela est le fruit de discussions tout à fait intéressantes avec la présidente Agnès Bricard. Nous allons avancer. Le but est de rendre un service plus efficace, avant de penser aux capitaux.

 

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