Illégalité d'une garde à vue sans avocat (11/06/2009)

 

 

garde à vue 1.jpgARRÊT DE GRANDE CHAMBRE  SALDUZ c. TURQUIE

 

Requête no 36391/02

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Concernant l’accès à un avocat pendant la garde à vue

 

La Cour estime que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 demeure suffisamment « concret et effectif », il faut, en règle générale, que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit.

 

 

 

La Cour européenne des droits de l’homme a prononcé le 27 novembre 2008 en audience publique son arrêt de Grande Chambre[1] dans l’affaire Salduz c. Turquie (

La Cour conclut, à l’unanimité :

 

  • à la violation de l’article 6 § 3 c) (droit à l’assistance d’un avocat) de la Convention européenne des droits de l’homme combiné avec l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable) à raison du fait que le requérant n’a pu se faire assister d’un avocat pendant sa garde à vue ;
  • à la violation de l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable) de la Convention à raison de la non-communication au requérant, devant la Cour de cassation, des conclusions écrites du procureur général.

 

Sur l’application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour estime que la forme la plus appropriée de redressement serait, pourvu que le requérant le demande, un nouveau procès, conforme aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention. Quant au reste, elle alloue au requérant 2 000 euros (EUR) pour dommage moral. Elle accorde 1 000 EUR pour frais et dépens. (L’arrêt existe en français et en anglais.)

1.  Principaux faits

 

Le requérant, Yusuf Salduz, est un ressortissant turc né le 2 février 1984 et résidant à İzmir (Turquie).

 

Le requérant se plaint de s’être vu dénier l’accès à un avocat pendant sa garde à vue et de ne pas avoir reçu communication des conclusions du procureur général près la Cour de cassation.

 

Le 29 mai 2001, l’intéressé fut arrêté car il était soupçonné d’avoir participé à une manifestation non autorisée de soutien au chef emprisonné du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, organisation illégale). On lui reprochait également d’avoir accroché une banderole illégale sur un pont.

 

Le 30 mai 2001, les policiers recueillirent une déposition du requérant en l’absence d’un avocat, dans laquelle l’intéressé se reconnaissait coupable d’avoir participé à la manifestation et admettait avoir écrit l’inscription figurant sur la banderole. Le requérant rétracta par la suite les déclarations qu’il avait faites devant la police, affirmant qu’elles lui avaient été extorquées sous la contrainte. Le juge d’instruction ordonna le placement de l’intéressé en détention provisoire, lequel eut alors la possibilité de bénéficier d’un avocat.

 

Devant la cour de sûreté de l’Etat d’İzmir, le requérant démentit également le contenu de sa déposition faite devant la police, alléguant que celle-ci lui avait été extorquée sous la contrainte.

 

Le 5 décembre 2001, la cour de sûreté de l’Etat reconnut le requérant coupable d’avoir prêté aide et assistance au PKK et le condamna à quatre ans et six mois d’emprisonnement, peine qui fut ramenée à deux ans et demi d’emprisonnement compte tenu de ce que le requérant était âgé de moins de 18 ans à l’époque des faits.

 

Pour rendre sa décision, la cour de sûreté de l’Etat se fonda sur les déclarations que le requérant avait faites devant la police, devant le procureur et devant le juge d’instruction. Elle prit également en considération les dépositions faites par ses coaccusés devant le procureur et deux autres éléments. Elle conclut à l’authenticité des aveux faits par le requérant devant la police.

 

Le 27 mars 2002, le procureur général près la Cour de cassation soumit ses observations écrites à la haute juridiction. Il y concluait à la confirmation du jugement rendu par la cour de sûreté de l’Etat d’İzmir. Ces conclusions ne furent communiquées ni au requérant ni à son représentant. Le 10 juin 2002, la Cour de cassation débouta le requérant de son recours.

 

2.  Procédure et composition de la Cour

 

La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 8 août 2002 et déclarée en partie irrecevable le 28 mars 2006.

 

Par un arrêt de chambre du 26 avril 2007, la Cour a considéré, à l’unanimité, qu’il y avait eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison de la non-communication au requérant, devant la Cour de cassation, des conclusions écrites du procureur général et, par cinq voix contre deux, qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 6 § 3 c) à raison du fait que le requérant n’avait pu se faire assister d’un avocat pendant sa garde à vue.

 

Le 20 juillet 2007 le requérant a demandé le renvoi de l’affaire à la Grande Chambre (article 43[2] de la Convention). Le 24 septembre 2007, le collège de la Grande Chambre a accepté ladite demande.

 

Une audience s’est tenue en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 19 mars 2008.

 

L’arrêt a été rendu par la Grande Chambre de 17 juges,

 

3.  Résumé de l’arrêt[3]

 

Griefs

 

M. Salduz se plaignait de ce que, poursuivi au pénal, il s’était vu refuser l’assistance d’un avocat pendant sa garde à vue et n’avait pas obtenu, au stade ultime, devant la Cour de cassation, de la procédure, communication des conclusions écrites du procureur général près cette juridiction. Il y voyait une violation des droits de la défense. Il invoquait l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention européenne des droits de l’homme.

 

Décision de la Cour

 

Concernant l’accès à un avocat pendant la garde à vue

 

La Cour estime que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 demeure suffisamment « concret et effectif », il faut, en règle générale, que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Même lorsque des raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l’accès à un avocat, pareille restriction – quelle que soit sa justification – ne doit pas indûment préjudicier aux droits découlant pour l’accusé de l’article 6. Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation.

 

Pour justifier le refus au requérant de l’accès à un avocat, le gouvernement turc s’est borné à dire qu’il s’agissait de l’application sur une base systématique des dispositions légales pertinentes. En soi, cela suffit déjà à faire conclure à un manquement aux exigences de l’article 6 à cet égard.

 

La Cour observe par ailleurs notamment que la cour de sûreté de l’Etat a fait de la déposition livrée à la police par l’intéressé la preuve essentielle justifiant sa condamnation, malgré la contestation par le requérant de son exactitude. Pour la Cour, il est clair que le requérant a été personnellement touché par les restrictions mises à la possibilité pour lui d’avoir accès à un avocat, puisque aussi bien sa déclaration à la police a servi à fonder sa condamnation. Ni l’assistance fournie ultérieurement par un avocat ni la nature contradictoire de la suite de la procédure n’ont pu porter remède au défaut survenu pendant la garde à vue.

 

La Cour relève enfin que l’un des éléments caractéristiques de la présente espèce était l’âge du requérant. Renvoyant au nombre important d’instruments juridiques internationaux traitant de l’assistance juridique devant être octroyée aux mineurs en garde à vue, la Cour souligne l’importance fondamentale de la possibilité pour tout mineur placé en garde à vue d’avoir accès à un avocat pendant cette détention.

 

En résumé, la Cour estime que même si le requérant a eu l’occasion de contester les preuves à charge à son procès en première instance puis en appel, l’impossibilité pour lui de se faire assister par un avocat alors qu’il se trouvait en garde à vue a irrémédiablement nui à ses droits de la défense. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 3 c) combiné avec l’article 6 § 1.

 

Concernant la non-communication des conclusions écrites du procureur général près la Cour de cassation

 

Pour les motifs indiqués par la chambre dans son arrêt du 26 avril 2007, la Cour considère que le droit du requérant à une procédure contradictoire a été enfreint. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

 

 

Le juge Bratza a exprimé une opinion concordante. Les juges Rozakis, Spielmann, Ziemele et Lazarova Trajkovska ont exprimé une opinion concordante et le juge Zagrebelsky a exprimé une opinion concordante à laquelle se rallient les juges Casadevall et Türmen. Les textes se trouvent joints à l’arrêt.

 

 

***

 

Les arrêts de la Cour sont disponibles sur son site Internet (http://www.echr.coe.int).

 



[1] Les arrêts de Grande Chambre sont définitifs (article 44 de la Convention).

[2] L’article 43 de la Convention européenne des Droits de l’Homme prévoit que, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre (17 membres) de la Cour. En pareille hypothèse, un collège de cinq juges examine si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses protocoles ou encore une question grave de caractère général. Si tel est le cas, la Grande Chambre statue par un arrêt définitif. Si tel n’est pas le cas, le collège rejette la demande et l’arrêt devient définitif. Pour le reste, les arrêts de chambre deviennent définitifs à l’expiration dudit délai de trois mois ou si les parties déclarent qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre.

[3] Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.

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