Ces politiques qui portent la robe (18/11/2008)

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[ 18/11/08  ] les échos par  VALÉRIE DE SENEVILLE 

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Pour rebondir après une défaite, ou même en cours de mandat, un nombre croissant de politiques décident de devenir avocat. Leur carnet d'adresses, leur connaissance des arcanes du pouvoir, leur notoriété en font des recrues convoitées par de prestigieux cabinets. Mais le risque d'un conflit d'intérêts pèse et la polémique guette au moindre dérapage.

 

 

Nulle ostentation dans les bureaux de maître Dominique de Villepin. Avenue Foch, certes, mais sobres et de bon ton. C'est une élégance que l'ex-Premier ministre partage avec ses anciens et nouveaux confrères, tous ceux qui, comme lui, ont décidé de passer de la politique au barreau : rester relativement discret pour ne pas s'exposer aux critiques sur d'éventuels conflits d'intérêts...

Certes, le mariage entre politiques et avocats ne date pas d'hier, mais le phénomène semble avoir pris de l'ampleur ces dernières années. On compte aujourd'hui pas moins de 40 plaideurs sur les bancs du Palais-Bourbon, et les nouveaux convertis affluent : il y a ceux qui trouvent au barreau un point de chute honorable après une défaite politique, et ceux, de plus en plus nombreux, qui choisissent de devenir avocat en cours de mandat. Comme Jean-François Copé (UMP), Pierre Lellouche (UMP), Noël Mamère (Les Verts), ou encore le sénateur Philippe Marini (UMP), tous sont devenus avocats par la grâce d'un décret de 1991 qui permet un accès quasi direct à la profession pour les anciens juristes, magistrats, hauts fonctionnaires ou titulaires de certains mandats. Mais un doute continue de planer sur leurs motivations profondes. Et la polémique guette au moindre dérapage, réel ou supposé... On se souvient encore du tollé suscité l'an dernier par l'arrivée de Jean-François Copé, président du groupe UMP à l'Assemblée, chez Gide Loyrette Nouel. L'un des plus prestigieux cabinets d'affaires français, mais aussi et surtout le conseil de l'Etat dans le cadre de la fusion GDF-Suez.

A manier avec précaution

Immanquablement, ce mélange des genres finit par soulever de nombreuses questions : à travers les hommes politiques, que recherchent donc les cabinets d'avocats ? Quelles affaires leur sont confiées ? Combien sont-ils payés ? Quelle est leur efficacité réelle ? Renseignements pris, l'homme politique est un instrument juridique à manier avec précaution pour un cabinet d'avocats. « Pour certaines affaires, cela peut même agir comme un repoussoir ou faire peur », reconnaît un membre de la profession. Exemple, Dominique de Villepin : s'il évite de s'impliquer dans les « deals » franco-français, l'ancien Premier ministre s'occupe personnellement de deux grandes entreprises nationales, Veolia et Alstom, pour certains dossiers internationaux. Avant de lui confier leurs intérêts, ces derniers ont certes pris soin de téléphoner à l'Elysée pour s'assurer qu'ils ne froisseraient personne... Mais pourquoi se priver d'un tel soutien ? Dominique de Villepin « n'a qu'à ouvrir son carnet d'adresses pour prendre rendez-vous avec Poutine », observe un habitué des milieux d'affaires. Le genre de service qui se paie cher. Un forfait de cette nature est généralement rémunéré entre 15.000 et 20.000 euros par mois.

Pourtant, tous vous le diront en choeur : le carnet d'adresses n'est pas la raison première de leur recrutement ! Voire... Un ancien ministre socialiste raconte volontiers qu'après son départ du gouvernement, un déjeuner avait été organisé par un grand cabinet d'avocats parisien. A cette occasion, différentes offres de secteurs correspondant à ses précédentes fonctions lui avaient été faites, qu'il avait déclinées. L'intéressé n'a jamais plus entendu parler de ce cabinet...

En réalité, « on n'achète pas une force de travail brute ni un simple carnet d'adresses, mais avant tout un potentiel », rectifie Olivier Debouzy. L'avocat sait de quoi il parle : son cabinet a recruté un ancien ministre de l'Industrie du gouvernement Jospin, Christian Pierret, maire PS de Saint-Dié-des-Vosges. De fait, tout est dans la nuance : à travers les responsables politiques, les cabinets d'avocats d'affaires cherchent des « décrypteurs » des mécanismes administratifs et politiques. Ils veulent savoir « à quel moment ou à quel rythme prendre une décision efficace pour le client », explique Frédéric Salat-Baroux, secrétaire général de l'Elysée de 2005 à 2007, qui a intégré l'an dernier un cabinet américain. « Lorsque je suis face à un haut fonctionnaire, je sais où il veut m'emmener et je sais où il veut en venir », renchérit Christian Pierret. « Il ne faut pas exagérer l'importance du carnet d'adresses, la France des années 2000 n'est plus celle de l'administration toute-puissante des années 1980 », relativise Antoine Tchekhoff, dont le cabinet a hébergé pendant longtemps l'ancien garde des Sceaux Pascal Clément (qui l'a quitté pour Orrick Rambaud Martel, un grand cabinet d'affaires américain).

Cabinets haut de gamme

Si « le carnet d'adresses permet parfois le premier contact, reconnaît Frédéric Salat-Baroux, dans le monde économique, personne ne vous prendra comme avocat si vous n'êtes pas bon ». Ce proche de Jacques Chirac a quitté toute fonction politique pour Weil, Gotshal & Menges. Un des cabinets les plus agressifs sur la place de Paris et... l'un des plus chers aussi. Les services de ces cabinets d'affaires haut de gamme sont en effet à la hauteur de leur clientèle : entre 500 et 900 euros hors taxe de l'heure (1). Alors, autant être efficace. « Je suis allé sur mes territoires : droit public économique, secteurs régulés, télécoms, énergie », déclare cet énarque, conseiller d'Etat. Christian Pierret se lance, lui, à fond dans les partenariats public-privé (PPP). Des secteurs qui ne sont pas si éloignés de leurs bases... Avec un bémol, toutefois : la loi interdit pendant cinq ans aux anciens fonctionnaires devenus avocats de conclure ou de plaider pour ou contre les administrations auxquelles ils ont appartenu.

Qu'importe, l'essentiel est que le nom attire des clients au cabinet : chez Orrick Rambaud Martel, c'est Pascal Clément, toujours député, qui a fait la dernière conférence consacrée aux PPP... D'ailleurs, mieux vaut rester sur des domaines connus, car ne s'improvise pas avocat qui veut. L'ex-ministre des Affaires étrangères (1995-1997) Hervé de Charrette, qui a pris la robe en 2001, l'a appris à ses dépens : fin 2004, il représentait Otor, deuxième producteur français d'emballages carton, après la mise en examen du président et de la directrice générale de la société pour abus de biens sociaux. Guère convaincus par son travail, les nouveaux dirigeants de l'entreprise lui ont demandé l'an dernier de restituer les 450.000 euros d'honoraires versés au cours des six mois de procédure. Le différend a été porté devant la cour d'appel, qui a condamné l'ancien ministre à reverser 200.000 euros. Hervé de Charette s'est pourvu en cassation et attaque pour faux témoignage.

Problème d'image, de crédibilité... Rares sont les avocats « politiques » qui plaident au pénal. Une exception, toutefois : dernièrement, le député Vert Noël Mamère, qui a prêté serment en mai 2008, a enfilé sa robe pour défendre Olivier Besancenot contre la société Taser devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris. Il n'y est pas allé seul, son confrère Antoine Conte l'accompagnait. Là encore, la précaution est de mise ; les juges apprécient peu, en effet, que l'on prenne le prétoire pour une tribune politique.

Surtout, le code de déontologie des avocats interdit à ceux « investis d'un mandat public » d'intervenir « à aucun titre pour ou contre l'Etat, ses administrations et ses services, les sociétés nationales, les collectivités et les établissements publics ». En clair, il n'est pas concevable que des parlementaires en fonction, comme Jean-François Copé, qui exerce une activité de médiation pour Gide, ou Philippe Marini, rapporteur de la commission des Finances au Sénat, mais aussi tous ceux qui étaient avocats avant de devenir députés et sont restés inscrits comme Philippe Houillon (député UMP, ancien président de la commission des Lois) ou Tony Dreyfus (député PS), puissent intervenir dans des conflits fiscaux ou comme conseils d'une société d'économie mixte qui serait venue les consulter après leur élection. Cette incompatibilité s'étend d'ailleurs à l'ensemble du cabinet si l'avocat en question est associé. Dès lors, on comprend mieux que, dans la plupart des cas, les politiques ne soient pas associés mais « off counsel »... Chez Orrick Rambaud Martel, Pascal Clément est, lui, « senior adviser ».

« Un exercice limite »

Quoi qu'il en soit, cette règle restreint sérieusement pour les politiques avocats le champ des « prospects » et peut, dans certains cas, poser des problèmes dans les grands cabinets où le système de rémunération est basé sur le nombre de clients. Jean-François Copé, qui reconnaît une activité « fluctuante », avoue ainsi être payé « à la fois » au forfait et au taux horaire. Un système original pour des dossiers de médiation. Mais les noms de ses clients et sa rémunération sont jalousement tenus secrets, même si, dans les couloirs du Palais, on parle de 200.000 à 250.000 euros annuels.

Pour tous, « l'exercice est à la limite de l'éthique professionnelle de l'avocat et de l'éthique du parlementaire », analyse André Vallini. Avocat et député PS, lui a choisi de ne plus participer à l'activité de son cabinet.

Mais cet avis n'est pas partagé par tout le monde. « Un politique, avec un grand client à déjeuner, c'est prestigieux, ça délie les langues », reconnaît un avocat, qui ajoute avec gourmandise : « Nous avons avec le pouvoir la même relation que les esthètes avec les artistes : une fascination mutuelle... »

VALÉRIE DE SENEVILLE

 

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