Justice : des réformes maintenant par Daniel Soulez Larivière (07/09/2007)

Justice : des réformes maintenant

Daniel Soulez Larivière
Avocat au barreau de Paris

Article paru dans le monde du 09.09.07

Le chef de l'Etat ne peut se contenter de surfer sur l'émotion. Il doit s'attaquer aux problèmes de fond     

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 Nicolas Sarkozy a parlé de justice pendant sa campagne. Et, comme il revendique son volontarisme, ses projets intéressent ceux que désespère, depuis vingt-cinq ans, l'absence de réformes. Pour le moment - facile -, il s'appuie sur l'émotion populaire afin de promouvoir des textes critiqués par la plupart des spécialistes.

Les victimes sont le moteur de l'action présidentielle, pour le meilleur ou le pire : l'effet de la loi sur la récidive, approuvée par 84 % des Français, restera limité si l'on se contente d'enfermer plus de délinquants sans traiter le phénomène de fond et ses causes multiples. Au lieu de " juger les fous ", le vrai sujet est celui de l'imputabilité du crime indépendamment de l'irresponsabilité du criminel malade mental. Mal traitée, cette proposition finira par faire rétablir les procès d'animaux comme au Moyen Age. Bien traitée, elle est fertile : trouver une scène autre que pénale où pourrait se discuter l'acte de l'aliéné dans des conditions permettant aux victimes de comprendre ce qui s'est passé.

Cette " autre scène " dépénalisée est indispensable aussi pour d'autres événements (catastrophes ou sinistres de toute nature) au lieu d'absurdes procès spectacles exutoires. Enfin, l'affaire du pédophile Francis Evrard... A chaque grand fait divers, on verra cette catharsis à l'oeuvre, bonne ou mauvaise selon que l'émotion populaire sera reprise sur le terrain de la raison plutôt que de la communication compassionnelle.

Mais la navigation à vue sur l'océan des émotions ne résume pas l'énoncé de la politique sarkozyste.
 Le 3 mai 2006, à l'issue de la convention justice de l'UMP, il traite tous les problèmes de fond. A propos de l'un des plus martelés et des plus contestables, celui de la responsabilité des magistrats : " Ma conviction, dit-il, est que le juge sera d'autant plus respecté qu'il sera responsable. Il n'y a pas de pouvoir sans responsabilité, j'entends professionnelle. Les juges ne peuvent s'exonérer des règles qu'ils appliquent sévèrement à tous les autres. "

Le propos est séduisant, mais rien ne peut être bouleversé dans ce domaine. Si la décision juridictionnelle est médiocre, la défaillance du système de procédure de contrôle auquel elle obéit est en cause. Et si le juge est responsable personnellement de la décision qu'il rend, il n'y a plus de juge nulle part.

En revanche, en cas de faute du service de la justice, l'Etat peut être condamné à réparer et, s'il estime que le juge a failli, il peut se retourner contre lui par une action dite récursoire. C'est la loi. Mais jamais appliquée à l'égard des juges. D'accord pour ne l'appliquer avec la proposition du candidat Sarkozy qu'en cas de condamnation de l'Etat, le Conseil supérieur de la magistrature donne son accord à l'action récursoire et demande par ailleurs de pouvoir être saisi par des justiciables et les chefs de juridiction. D'un propos qualifiable de démagogique à l'origine, on en vient à une décision plus raisonnable.

A condition que le Conseil supérieur de la magistrature, organe de discipline et de nomination, ne soit plus une institution corporatiste.

 Le candidat à la présidence a déclaré que sa composition " doit être revue et les magistrats cesser d'y être majoritaires. La mainmise syndicale sur les nominations commence à poser un véritable problème. (...) La justice sera d'autant plus indépendante qu'elle tirera sa légitimité d'une instance représentative de la société entière, et pas seulement des intérêts professionnels des magistrats ou de leurs représentants syndicaux ".

Voilà quinze ans qu'on le dit, depuis la commission Vedel, puis l'avortement de la réforme constitutionnelle. D'accord pour remettre cette réforme en selle.

L'indépendance de la magistrature signifie celle des juges qui jugent.

 Quant au parquet, pour la première fois un candidat président ose dire qu'on a " entretenu la confusion entre le siège et le parquet et brouillé l'image que les Français se font de la justice " et qu'il est " favorable à la séparation des carrières du siège et du parquet après un certain temps ".

Depuis neuf ans, les ordres d'avocats sont d'accord. La conférence des premiers présidents de cour d'appel aussi. Alors allons-y ! Et pour conserver une interface nécessaire et digne entre le gouvernement et le parquet, comme cela existe dans presque toutes les démocraties, il propose de créer un " procureur général de la nation " choisi par le président, après audition devant une commission parlementaire disposant d'un droit de veto. Pourquoi pas ?

 C'est l'une des techniques utilisées dans plusieurs démocraties pour aménager l'action du parquet qui, nulle part, n'est vraiment indépendant du politique, tout en bénéficiant parfois d'un statut protecteur contre des intrusions discutables.

A entendre les développements présidentiels sur l'ouverture du corps des magistrats, leur détachement à l'extérieur, la création de " l'école de la justice " (comme il existe l'école de guerre), la dissociation du grade et de la fonction, la revalorisation de leurs conditions matérielles et la création d'un contrôleur général des prisons, on constate que Nicolas Sarkozy a puisé des idées circulant depuis vingt ans dans tous les bons travaux sur la question (qui ne se limitent pas à ceux des syndicats de magistrats).

Restent les deux problèmes majeurs de la carte judiciaire et de l'instruction pénale, nées sous l'Ancien Régime et révisées en 1958. Rien ne peut se faire en termes de rationalité financière et intellectuelle sans un redéploiement des juridictions sur le terrain : 182 tribunaux et barreaux pour 95 départements, 35 cours d'appel pour 22 régions, comme avant l'ère de l'automobile.

Aucune tentative d'y toucher depuis vingt ans n'a abouti. Comme l'explique Nicolas Sarkozy, le problème consiste " à répartir équitablement les services publics sur l'ensemble des communes importantes d'un département ". Il n'est pas seulement technique, mais aussi politique.

On ne peut que souhaiter bonne chance au gouvernement pour accomplir cette tâche apparemment héroïque.

Enfin, sujet tabou, l'instruction pénale.

 Le candidat président a eu raison de dire que, comme le code pénal en 1994, il faudrait réécrire complètement le code de procédure pénale, devenu illisible par sa complexité à force de ne rien faire d'autre que du cosmétique. La seule conséquence d'Outreau aura été de placer dans certains cas un second juge d'instruction près du premier. Comme si atteler deux chevaux dont un plus vieux allait changer le véhicule. Le projet de créer un tribunal d'habeas corpus est une bonne idée pour la détention provisoire mais ne règle pas l'architecture de la procédure.

Tirant les leçons du désastre, Nicolas Sarkozy candidat déclare que " la première conséquence doit concerner naturellement l'avenir du juge d'instruction. Beaucoup de propositions ont été faites qui vont de l'amélioration du système existant à sa transformation en juge de l'instruction, en passant par le tribunal de l'instruction.

 Il faut prendre le temps d'évaluer chacune d'elles ". En 1990 déjà, la commission Delmas-Marty préconisait la suppression de ce vrai faux juge, demi-Maigret, demi-Salomon.

En 1975, l'Allemagne l'a fait. Le parquet enquête. Le juge arbitre en cas de difficulté, orientation, choix juridictionnel, expertal ou de contrainte sur les libertés. Personne ne se plaint du système allemand.

Changer en profondeur notre procédure pénale demande au moins quatre ans. Peut-on, sous des formes constitutionnellement acceptables, y parvenir au terme de tests ou d'études concrètes dans quelques tribunaux afin de fonder, dans le pragmatisme et non dans le dogmatisme, les transformations nécessaires de notre procédure ? Faisons !

Il a souvent été dit que seul un poids lourd politique pourrait transformer en profondeur notre justice. Avec l'énergie présidentielle et celle d'une garde des sceaux hors cénacle, qui n'a peur de rien et saura peut-être mieux que d'autres résister à l'étouffement conservateur du milieu judiciaire, les circonstances paraissent favorables. Il faudra sans doute dans ce quinquennat avaler des couleuvres, sacrifier certaines positions comme, par exemple, celles sur la création de ce " juge des victimes " (nouvel hybride dénué de sens, car un juge est un juge, ni pour ni contre). Il s'agit de savoir si demain nous n'aurons que la daube et la communication ou, en plus, une réforme historique.

Daniel Soulez Larivière

Avocat au barreau de Paris

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