Tocqueville:Etude sur le paradoxe démocratique par Vincent Valentin (25/07/2007)

 Je blogue une réflexion d'un universitaire sur une analyse de Tocqueville , analyse dont la conclusion est la recherche  d'une synthèse sur le socialisme et le libéralisme.

Ne serait  il pas interessant de la comparer à la philosophie de notre confrère Joseph Shumpeter , un économiste libéral, au sens américain du terme, qui a été oublié par nos concitoyens qui lui préfèrent  JM Keynes, ou l'ultra monétariste Frydman.

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Tocqueville n’a que vingt-six ans lorsque, le 2 avril 1831, il s’embarque pour les États-Unis. Il y puisera l’inspiration d’un chef-d’œuvre, De la démocratie en Amérique(1835-1840), aujourd’hui véritable classique de la littérature politique mondiale.

 L’originalité de sa pensée est double : il définit la démocratie non comme une forme de gouvernement, mais comme l’égalisation des conditions ;mais  il voit en elle la source d’une possible oppression, à laquelle il oppose un libéralisme vigilant.

Si Tocqueville est bien l’un des penseurs les plus éminents de la démocratie, il est donc loin d’en être un apôtre béat.

Il part pour les États-Unis parce que la démocratie s’est installée là-bas sans dégénérer en régime de terreur ou en guerre civile. Il veut comprendre comment elle peut être maîtrisée, comment la liberté pourrait contenir les effets pervers de l’égalitarisme.. Pourquoi cette « terreur » devant l’égalité des conditions ?

Pourquoi voir en elle un futur despotisme ?

Parce que, observe Tocqueville, les peuples démocratiques « veulent l’égalité dans la liberté et, s’ils ne peuvent l’obtenir, ils la veulent encore dans l’esclavage. Ils souffriront la pauvreté, l’asservissement, la barbarie, mais ils ne souffriront pas l’aristocratie ». Selon lui, le danger est grand que la passion de l’égalité soit telle qu’elle rende insupportables les inévitables différences sociales que produit l’usage de la liberté.

La reconnaissance du talent et des mérites, pourtant indispensable au fonctionnement de la démocratie, pourrait s’avérer difficile.

Le risque d’un nouveau despotisme

la grande originalité de Tocqueville a été de : percevoir le risque d’un despotisme nouveau, démocratique. Ce qui est un renversement de perspective étonnant : la démocratie serait un vecteur non plus d’émancipation mais d’asservissement des peuples.

 L’égalité produirait un nivellement des ambitions, des passions, des plaisirs, et laisserait la société sans défense contre une nouvelle forme de pouvoir. Les individus, à la recherche d’un bonheur médiocre, se replieraient sur leur sphère privée, délaissant l’exercice du politique et attendant même de lui un maximum de services, une sorte de tutelle permanente.

En des pages célèbres, Tocqueville annonce « une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leurs âmes ».

L’égalité, parce qu’elle fait les hommes envieux, rend suspectes les supériorités, sape les fondements de la reconnaissance et de l’aspiration à la vraie grandeur.

En même temps, elle contient un risque de fragilisation du lien social : l’individu, délivré des communautés traditionnelles, n’existe « qu’en lui-même et pour lui seul ». La démocratie le coupe de ses aïeux et le sépare de ses contemporains.

Ces inquiétudes trouvent aujourd’hui un écho dans nombre d’interrogations concernant la possibilité, notamment dans les domaines de l’éducation et de la culture, de maintenir le sens de valeurs supérieures dans une société traversée par l’affirmation de chacun comme l’égal de tous.

 Le despotisme démocratique a un prolongement plus directement politique :

il tend à ce qu’au-dessus des individus « s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort ». Émerge un État paternaliste, cherchant à « fixer les hommes dans l’enfance » , facilitant leurs plaisirs avec la tentation de leur « ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ».

 L’État démocratique, parce que les individus, tournés vers eux-mêmes, n’ont plus le goût de la liberté et de la vie civique, tendrait à une centralisation doucement asservissante.

Tel est l’autre paradoxe mis en avant par Tocqueville dans L’Ancien Régime et la Révolution : la démocratie renforce l’absorption de toute la vie politique par l’État, un phénomène déjà à l’œuvre sous la monarchie.

Heureux d’avoir choisi leurs « tuteurs », les citoyens accepteraient l’érosion progressive de leur liberté. Les libéraux voient en Tocqueville un prophète de la critique de l’État-providence, sans avoir toujours conscience que son pessimisme devant l’épanouissement de l’individualisme est, lui, bien peu libéral.

Comment empêcher ce nouveau despotisme ?

Principalement en obligeant les citoyens à sortir d’eux-mêmes, en soutenant des corps intermédiaires, les libertés locales, les associations, mais aussi ajout y il, le sentiment religieux. Il s’agit de constituer un corps social suffisamment fort pour qu’il rende à chacun le sens et le goût de la liberté politique.

 La décentralisation, la démocratie locale, qui ont le vent en poupe ces dernières années, notamment en France, peuvent s’appuyer sur les analyses de Tocqueville. Si celui qui fut à la fois historien et homme politique est si intéressant pour nous, c’est parce qu’il accepte la modernité tout en affrontant ses problèmes.

Aux socialistes, il montre les dangers de l’intervention de l’État ; aux libéraux, il indique les difficultés d’une société individualiste. Il permet ainsi d’approfondir l’idée démocratique loin des tentations réactionnaires ou naïvement progressistes.

 

Par Vincent Valentin, maître de conférences à l’Université Panthéon-Sorbonne.

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