L'avis public de communicationRequête no 12323/11
CINQUIÈME SECTION
Requête no 12323/11
Patrick MICHAUD
contre la France
introduite le 19 janvier 2011
EXPOSÉ DES FAITS
EN FAIT
Le requérant, M. Patrick Michaud, est un ressortissant français, né en 1947 et résidant à Paris. Il a été représenté devant la Cour par Me Bertrand Favreau, avocat à Bordeaux.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant est avocat au barreau de Paris et membre du conseil de l’Ordre.
Il expose que la communauté européenne a adopté successivement trois directives visant à prévenir l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment des capitaux. La première (no 91/308/CEE ; 10 juin 1991) vise les établissements et institutions financières. Elle a été amendée par une directive du 4 décembre 2001 (no 2001/97/CE) qui, notamment, élargit son champ d’application à divers professionnels ne relevant pas du secteur financier, dont les « membres des professions juridiques indépendantes ». La troisième (no 2005/60/CE ; du 26 octobre 2005) abroge la directive du 10 juin 1991 amendée, en reprend le contenu et le complète. Les lois de transpositions – la loi no 2004-130 du 11 février 2004, s’agissant de la directive du 10 juin 1991 amendée – et les textes réglementaire d’application – le décret no 2006-736 du 26 juin 2006, s’agissant de la loi du 11 févier 2004 – ont été codifiés au code monétaire et financier. (Il est renvoyé pour plus détails aux titres B. et C. ci-dessous, relatifs au droit communautaire et interne pertinent.)
De ces textes résulte notamment pour les avocats une « obligation de déclaration de soupçons », que la profession, qui y voit en particulier une menace contre le secret professionnel et la confidentialité des échanges entre l’avocat et son client, a constamment critiquée par la voix notamment du conseil national des barreaux.
Le 12 juillet 2007, le conseil national des barreaux a pris une « décision portant adoption d’un règlement relatif aux procédures internes destinées à mettre en œuvre les obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et dispositif de contrôle interne destiné à assurer le respect des procédures » (publiée au journal officiel le 9 août 2007). Il agissait ainsi en application de l’article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, qui lui donne la compétence, dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, d’unifier par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession d’avocat.
La décision précise (article 1) que « tous les avocats, personnes physiques, inscrits à un barreau français » sont assujettis à ce règlement professionnel, lorsque dans le cadre de leur activité professionnelle, ils réalisent au nom et pour le compte de leur client une transaction financière ou immobilière, ou lorsqu’ils participent en assistant leur client à la préparation ou à la réalisation de certains types de transactions (concernant : 1o l’achat et la vente de biens immeubles ou de fonds de commerce ; 2o la gestion de fonds, titres ou autres actifs appartenant au client ; 3o l’ouverture de comptes bancaires, d’épargne ou de titres ; 4o l’organisation des apports nécessaires à la création de sociétés ; 5o la constitution, la gestion ou la direction des sociétés ; 6o la constitution la gestion ou la direction de fiducies de droit étranger ou de toute autre structure similaire) ; ils n’y sont pas assujettis lorsqu’ils exercent une « activité de consultation juridique ou lorsque leur activité se rattache à une procédure juridictionnelle » à l’occasion de l’une ou l’autre de six activités précitées (article 2).
Le règlement établit en particulier que les avocats doivent dans ce contexte « faire preuve d’une vigilance constante » et « se doter des procédures internes » propres à assurer le respect des prescriptions légales et réglementaires relatives notamment à la déclaration de soupçon (article 3), précisant en particulier la procédure à suivre lorsqu’une opération paraît susceptible de faire l’objet d’une déclaration (article 7). Plus spécifiquement, ils doivent adopter des règles écrites internes décrivant les diligences à accomplir (article 5). Ils doivent de plus s’assurer que le règlement est correctement appliqué au sein de leur structure et que les avocats et les membres de leur personnel reçoivent l’information et la formation nécessaire et adaptée aux opérations qu’ils effectuent (article 9), et se doter d’un système de contrôle interne (article 10). Parallèlement, le règlement souligne que « les avocats doivent s’assurer en toutes circonstances du respect du secret professionnel » (article 4).
Le fait de ne pas se conformer à ce règlement est passible de sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’à la radiation du tableau des avocats (articles 183 et 184 du décret no 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat).
Le 10 octobre 2007, estimant qu’elle mettait en cause la liberté d’exercice de la profession d’avocat et les règles essentielles qui la régissent, le requérant saisit le Conseil d’Etat d’une demande d’annulation de cette décision. Il soutenait qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne conférait au conseil national des barreaux une compétence normative dans des domaines tels que la lutte contre le blanchiment. Par ailleurs, soulignant notamment que la décision critiquée obligeait les avocats à se doter de procédures internes propres à assurer le respect des prescriptions relatives à la déclaration de soupçon, sous peine de sanctions disciplinaires, et que la notion de soupçon n’était pas définie, il dénonçait une méconnaissance de l’exigence de précision inhérente au respect de l’article 7 de la Convention. De plus, se référant à l’arrêt André et autres c. France du 24 juillet 2008 (no 18603/03), il plaidait que le règlement ainsi adopté par le conseil national des barreaux était incompatible avec l’article 8 de la Convention, dès lors que l’obligation de déclaration de soupçon mettait en cause le secret professionnel et la confidentialité des échanges entre un avocat et son client. Enfin, en application de l’article 267 du Traité de l’Union européenne au Conseil d’Etat, il demandait au Conseil d’Etat de saisir la Cour de Justice de l’Union européenne à titre préjudiciel d’une question relative à la conformité de la « déclaration de soupçon d’infraction pénale » avec l’article 6 du Traité de l’Union européenne et avec l’article 8 de la Convention.
Par un arrêt du 23 juillet 2010, le Conseil d’Etat rejeta l’essentiel des conclusions de la requête.
S’agissant du moyen tiré de l’article 7 de la Convention, l’arrêt souligne notamment que la notion de « déclaration de soupçon » dont il est question dans la décision contestée ne manque pas de précision dès lors qu’elle renvoie aux dispositions de l’article L. 562-2 du code monétaire et financier (devenu, modifié, l’article L. 561-15). Quant au moyen tiré de l’article 8, l’arrêt le rejette par les motifs suivants :
« (...) si, selon le requérant, les dispositions de [la directive no 91/308/CEE amendée] sont incompatibles avec les stipulations de l’article 8 de la Convention (...) qui protègent notamment le droit fondamental au secret professionnel, cet article permet une ingérence de l’autorité publique dans l’exercice d’un tel droit, notamment lorsqu’une telle mesure est nécessaire à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales ; (...) eu égard, d’une part, à l’intérêt général qui s’attache à la lutte contre le blanchiment de capitaux et, d’autre part, à la garantie que représente l’exclusion de son champ d’application des informations reçues ou obtenues par les avocats à l’occasion de leurs activités juridictionnelles, ainsi que de celles reçues ou obtenues dans le cadre d’une consultation juridique, sous les seules réserves, pour ces dernières informations, des cas où le conseiller juridique prend part à des activités de blanchiment de capitaux, où la consultation juridique est fournie à des fins de blanchiment de capitaux et où l’avocat sait que son client souhaite obtenir des conseils juridiques aux fins de blanchiment de capitaux, la soumission des avocats à l’obligation de déclaration de soupçon, à laquelle procède la directive litigieuse, ne porte pas une atteinte excessive au secret professionnel ; (...) ainsi et sans qu’il soit besoin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté. »
B. Le droit de l’Union européenne pertinent
1. Les directives nos 91/308/CEE, 2001/97/CE et 91/308/CEE
a) Les directives nos 91/308/CEE et 2001/97/CE
Le 10 juin 1991, le Conseil de Communautés européennes a adopté la directive no 91/308/CEE « relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ». Elle vise à obliger les établissements de crédit et les institutions financières à identifier les clients et les transactions supérieures à 15 000 euros, examiner « avec une attention particulière » toute transaction suspecte, c’est-à-dire susceptible d’être liée au blanchiment de capitaux, et dénoncer aux autorités responsables tout fait pouvant être un indice d’un acte de blanchiment de capitaux. Elle fut modifiée par une directive no 2001/97/CE du 4 décembre 2001, qui élargit la définition du blanchiment et étend l’obligation d’identification des clients et de déclaration des transactions suspectes à une série de professionnels qui ne relèvent pas du secteur financier, en particulier aux « membres des professions juridiques indépendantes ».
b) La directive no 91/308/CEE
La directive no 91/308/CEE amendée fut abrogée par la directive no 2005/60/CE du 26 octobre 2005 « relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme », qui en reprend le contenu tout en le complétant. Le considérant 19 spécifie que les « membres des professions juridiques indépendantes », « tels que définis par les Etats membres » sont soumis à ses dispositions « lorsqu’ils participent à des transactions de nature financières ou pour le compte de sociétés, y compris lorsqu’ils font du conseil fiscal, car c’est là que le risque de détournement de leurs services à des fins de blanchiment des produits du crime ou du financement du terrorisme est le plus élevé ». L’article 2 § 1.3)b) précise que la directive s’applique à eux, lorsqu’ils participent, « dans l’exercice de leur activité professionnelle » « au nom de leur client et pour le compte de celui-ci, à toute transaction financière ou immobilière ou lorsqu’ils assistent leur client dans la préparation ou la réalisation de transactions portant sur : i) l’achat et la vente de biens immeubles ou d’entreprises commerciales; ii) la gestion de fonds, de titres ou d’autres actifs appartenant au client ; iii) l’ouverture ou la gestion de comptes bancaires, d’épargne ou de portefeuilles ; iv) l’organisation des apports nécessaires à la constitution, à la gestion ou à la direction de sociétés ; v) la constitution, la gestion ou la direction de fiducies (trusts), de sociétés ou de structures similaires ».
La directive prévoit notamment dans certains cas des obligations de vigilance à l’égard de la clientèle, impliquant la prise de mesures comprenant l’identification et la vérification de l’identité du client et du bénéficiaire effectif et l’obtention d’informations sur l’objet et la nature envisagée de la relation d’affaire (article 8 § 1 a), b) et c)). Les Etats membres sont en principe tenus d’imposer aux professionnels concernés qui ne sont pas en mesure de se conformer à ces obligations « de n’exécuter aucune transaction par compte bancaire, de n’établir aucune relation d’affaires ou de n’exécuter aucune transaction, ou de mettre un terme à la relation d’affaires et d’envisager de transmettre une déclaration sur le client concerné à la [cellule de renseignement financier], conformément à l’article 22 ». Ils ne sont toutefois pas tenus de le faire dans les situations où les « membres des professions juridiques indépendantes » (notamment) « sont en train d’évaluer la situation juridique de leur client ou exercent leur mission de défense ou de représentation de ce client dans une procédure judiciaire ou concernant une telle procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d’engager ou d’éviter une procédure » (article 9 § 5).
Elle consacre également des obligations de déclarations, prévoyant que « les Etats membres exigent » des personnes concernées qu’elles « coopèrent pleinement » « en informant promptement la [cellule de renseignement financier], de leur propre initiative, lorsqu’ils savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu’une opération ou une tentative de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme est en cours ou a eu lieu » et « en fournissant promptement à la cellule de renseignement financier, à la demande de celle-ci, toutes les informations nécessaires, conformément aux procédures prévues par la législation applicable » (article 22 § 1).
La directive précise toutefois que, s’agissant notamment des « membres des professions juridiques indépendantes », les Etats membres peuvent désigner un « organe d’autorégulation approprié de la profession concernée » comme étant l’autorité à informer en premier lieu, en lieu et place de la cellule de renseignement financier, lequel transmet rapidement et de manière non filtrées les informations à ladite cellule (article 23 § 1).
Elle précise également que les Etats membres ne sont pas tenus d’imposer les obligations prévues à l’article 22 aux (notamment) « membres des professions juridiques indépendantes » « pour ce qui concerne les informations reçues d’un de leurs clients ou obtenues sur un de leurs clients, lors de l’évaluation de la situation juridique de ce client ou dans l’exercice de leur mission de défense ou de représentation de ce client dans une procédure judiciaire ou concernant une telle procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d’engager ou d’éviter une procédure, que ces informations soient reçues ou obtenues avant, pendant ou après cette procédure ».
Aux termes du considérant 48, « aucune disposition de la présente directive ne devrait faire l’objet d’une interprétation ou d’une mise en œuvre qui ne serait pas conforme à la Convention européenne des Droits de l’Homme ».
2. L’arrêt Ordre des barreaux francophones et germanophone et autres contre Conseil des ministres, de la Cour de Justice des Communautés européennes (Grande Chambre ; 26 juin 2007 ; C-305/05)
En 2005, dans le cadre d’un recours initié par plusieurs Ordres des barreaux de la Belgique en vue de l’annulation de dispositions législatives transposant la directive no 2001/97/CE, la Cour constitutionnelle belge a saisi la Cour de Justice de l’Union européenne de la question préjudicielle suivante :
« L’article 1er, [point 2], de la directive 2001/97 [...] viole-t-il le droit à un procès équitable tel qu’il est garanti par l’article 6 de la [Convention] (...) en ce que le nouvel article 2 bis, [point 5], qu’il a inséré dans la directive 91/308/CEE, impose l’inclusion des membres de professions juridiques indépendantes, sans exclure la profession d’avocat, dans le champ d’application de cette même directive, qui, en substance, a pour objet que soit imposée aux personnes et établissements qu’elle vise une obligation d’informer les autorités responsables de la lutte contre le blanchiment de capitaux de tout fait qui pourrait être l’indice d’un tel blanchiment (article 6 de la directive 91/308/CEE, remplacé par l’article 1er, [point 5], de la directive 2001/97/CE) ? ».
Les Ordres demandeurs soutenaient en particulier qu’en étendant aux avocats l’obligation d’informer les autorités compétentes lorsqu’ils constatent des faits qu’ils savent ou soupçonnent être liés au blanchiment de capitaux, la législation contestée portait atteinte aux principes du secret professionnel et de l’indépendance de l’avocat, élément constitutif du droit fondamental de tout justiciable à un procès équitable et au respect des droits de la défense.
Dans son arrêt du 26 juin 2007, la Cour de Justice répond négativement à la question.
Elle rappelle tout d’abord que les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont elle assure le respect, et qu’elle s’inspire à cet effet des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré, la Convention européenne des droits de l’Homme revêtant à cet égard, une « signification particulière ». Elle en déduit que le droit à un procès équitable tel qu’il découle notamment de l’article 6 de la Convention constitue un droit fondamental que l’Union européenne respecte en tant que principe général en vertu de l’article 6 § 2 du Traité sur l’Union européenne.
Ensuite, elle relève qu’en vertu de la directive, les obligations d’information et de coopération ne s’appliquent aux avocats que dans la mesure où ils assistent leur client dans la préparation ou la réalisation de certaines transactions essentiellement d’ordre financier et immobilier visées, ou lorsqu’ils agissent au nom et pour le compte de leur client dans toute transaction financière ou immobilière. Elle souligne à cet égard qu’en règle générale, ces activités, en raison de leur nature même, se situent dans un contexte qui n’a pas de lien avec une procédure judiciaire et, partant, en dehors du champ d’application du droit à un procès équitable.
Elle note par ailleurs que, dès le moment où l’assistance d’un avocat intervenu dans le cadre d’une transaction est sollicitée pour l’exercice d’une mission de défense ou de représentation en justice ou pour l’obtention de conseils sur la manière d’engager ou d’éviter une procédure judiciaire, la directive exonère ledit avocat de ces obligation. Selon elle, d’une part, une telle exonération est de nature à préserver le droit du client à un procès équitable. D’autre part, les exigences liées au droit à un procès équitable ne s’opposent pas à ce que, lorsqu’ils agissent en-dehors de ce contexte et dans le cadre précis des situations évoquées dans le paragraphe précédent, les avocats soient soumis aux obligations d’information et de coopération, dès lors que de telles obligations « sont justifiées par la nécessité de lutter efficacement contre le blanchiment de capitaux, qui exerce une influence évidente sur le développement du crime organisé, lequel constitue lui-même une menace particulière pour les sociétés des Etats membres ».
C. Le droit interne pertinent
1. Le code monétaire et financier
Les directives susmentionnées ont été transposées en droit français, et les normes pertinentes ont fait l’objet d’une codification (plusieurs fois modifiée) au code monétaire et financier.
S’agissant des dispositions légales, les obligations de vigilance à l’égard de la clientèle sont codifiées aux articles L. 561-5 à L. 561-14-2, et les obligations de déclaration, aux articles L. 561-15 à L. 561-22.
Ces dispositions s’appliquent à divers organismes et professionnels précisés à l’article L. 561-2 du code, dont les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, les avocats et les avoués près les cours d’appel lorsque, « dans le cadre de leur activité professionnelle » : « 1o [ils] participent au nom et pour le compte de leur client à toute transaction financière ou immobilière ou agissent en qualité de fiduciaire ; 2o [ils] assistent leur client dans la préparation ou la réalisation des transactions concernant : a) l’achat et la vente de biens immeubles ou de fonds de commerce ; b) la gestion de fonds, titres ou autres actifs appartenant au client ; c) l’ouverture de comptes bancaires, d’épargne ou de titres ou de contrats d’assurance ; d) l’organisation des apports nécessaires à la création des sociétés ; e) la constitution, la gestion ou la direction des sociétés ; f) la constitution, la gestion ou la direction de fiducies, régies par les articles 2011 à 2031 du code civil ou de droit étranger, ou de toute autre structure similaire ; g) la constitution ou la gestion de fonds de dotation (article L. 561-3 I). Toutefois, elles ne s’appliquent pas à eux « lorsque l’activité se rattache à une procédure juridictionnelle, que les informations dont ils disposent soient reçues ou obtenues avant, pendant ou après cette procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d’engager ou d’éviter une telle procédure, non plus que lorsqu’ils donnent des consultations juridiques, à moins qu’elles n’aient été fournies à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme ou en sachant que le client les demande aux fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme » (article L. 561-3 II).
a) Les obligations de vigilance
Au titre des obligations de vigilance, les personnes concernées doivent, avant d’entrer en relation d’affaires, identifier le client et, le cas échéant, le bénéficiaire de la relation d’affaire, et vérifier les éléments d’identification (article L. 561-5 I.) (par dérogation, lorsque le risque de blanchiment des capitaux ou de financement du terrorisme paraît faible, il peut être procédé uniquement pendant l’établissement de la relation d’affaires à la vérification de l’identité du client et, le cas échéant, du bénéficiaire effectif ; article L. 561-5 II.). S’y ajoute l’obligation de recueillir avant l’entrée en relation d’affaire avec un client les informations relatives à l’objet de cette relation ainsi que tout autre élément d’information pertinent sur ce client. Pendant toute sa durée, les personnes concernées sont tenues d’exercer sur la relation d’affaire, dans les limites de leurs droits et obligations, une « vigilance constante », et de pratiquer un « examen attentif des opérations effectuées en veillant à ce qu’elles soient cohérentes avec la connaissance actualisée qu’elles ont de leur client » (article L. 561-6).
Lorsqu’une personne concernée n’est pas en mesure d’identifier son client ou d’obtenir des informations sur l’objet et la nature de la relation d’affaires, elle est tenue de n’exécuter aucune opération, quelles qu’en soient les modalités, et de n’établir ni poursuivre aucune relation d’affaires. Lorsqu’elle n’a pas été en mesure d’identifier son client ou d’obtenir des informations sur l’objet et la nature de la relation d’affaires et que celle-ci a néanmoins été établie en application du II de l’article L. 561-5, elle doit y mettre un terme (article L. 561-8).
b) Les obligations de déclaration
Au titre des obligations de déclaration, les personnes concernées doivent déclarer à la cellule de renseignement financier nationale les sommes inscrites dans leurs livres ou les opérations portant sur des sommes dont elles savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou participent au financement du terrorisme, ainsi que – dans certaines circonstances – les sommes dont elles savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent d’une fraude fiscale. Elles sont également tenues de déclarer à la cellule toute opération pour laquelle l’identité du donneur d’ordre ou du bénéficiaire effectif ou du constituant d’un fonds fiduciaire ou de tout autre instrument de gestion d’un patrimoine d’affectation reste douteuse malgré les diligences effectuées conformément à l’article L. 561-5 (article L. 561-15). Un décret en Conseil d’Etat précise les modalités de cette déclaration.
Les personnes concernées sont tenues de s’abstenir d’effectuer toute opération dont elles soupçonnent qu’elle est liée au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme jusqu’à ce qu’elles aient fait cette déclaration (article L. 561-16). D’autre part, lorsqu’une opération devant faire l’objet de la déclaration a déjà été réalisée, soit parce qu’il a été impossible de surseoir à son exécution, soit que son report aurait pu faire obstacle à des investigations portant sur une opération suspectée de blanchiment des capitaux ou de financement du terrorisme, soit qu’il est apparu postérieurement à sa réalisation qu’elle était soumise à cette déclaration, la personne concernées doit en informe sans délai la cellule de renseignement financier nationale.
Par dérogation, les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, les avocats et les avoués près la cour d’appel ne communiquent pas les déclarations à la cellule de renseignement financier nationale mais, selon le cas, au président de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, au bâtonnier de l’ordre auprès duquel l’avocat est inscrit ou au président de la compagnie dont relève l’avoué. Ces derniers transmettent la déclaration à ladite cellule après s’être assurés que les conditions fixées à l’article L. 561-3 sont remplies, dans les délais et selon les modalités définis par décret en Conseil d’Etat (article L. 561-17).
La déclaration est confidentielle. Il est interdit de divulguer son existence et son contenu et de donner des informations sur les suites qui lui ont été réservées, sous peine d’une amende de 22 500 euros (article L. 574-1) ; le fait pour un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat ou avoués près la cour d’appel de s’efforcer de dissuader leur client de prendre part à une activité illégale ne constitue toutefois pas une divulgation prohibée (article L. 561-19).
c) La cellule de renseignement financier nationale
La « cellule de renseignement financier nationale » (dite « Tracfin ») est un service d’enquête administrative du ministère des finances, composée d’agents spécialement habilités. Elle a pour mission essentielle de recueillir, analyser, enrichir et exploiter tour renseignement propre à établir l’origine ou la destination des sommes ou la nature des opérations ayant fait l’objet d’une déclaration. Lorsque ses investigations mettent en évidence des faits susceptibles de relever du blanchiment du produit d’une infraction punie d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou du financement du terrorisme, elle saisit le procureur de la République par note d’information (article L. 561-23).
Elle peut notamment demander directement aux personnes concernées communication de pièces conservées dans le cadre de l’obligation de vigilance. Par dérogation, s’agissant d’avocats au Conseil d’Etat et la Cour de cassation, d’avocats et d’avoués, elle doit adresser sa demande, selon le cas, au président de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, au bâtonnier de l’ordre auprès duquel l’avocat est inscrit ou au président de la compagnie dont relève l’avoué. Ces derniers, une fois avoir obtenu les pièces et s’être assurés que les conditions fixées à l’article L. 561-3 sont remplies, les transmettent à ladite cellule (article L. 561-26).
d) Procédure et contrôle interne
Les personnes concernées sont tenues de mettre en place des systèmes d’évaluation et de gestion des risques de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme, et d’assurer la formation et l’information régulières de leurs personnels en vue en particulier du respect des obligations de vigilance et de déclaration (articles L. 561-32 et L. 561-33).
e) Procédure disciplinaire
Lorsque, par suite soit d’un grave défaut de vigilance, soit d’une carence dans l’organisation de ses procédures internes de contrôle, un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, un avocat ou un avoué près la cour d’appel a omis de respecter ces obligations, le Conseil de l’Ordre compétent engage une procédure disciplinaire sur le fondement des règlements professionnels ou administratifs et en avise le procureur général près la Cour de cassation ou près la cour d’appel (article L. 561-36 III).
2. L’arrêt du Conseil d’Etat du 10 avril 2008
Dans un arrêt du 10 avril 2008 (no 296845), le Conseil d’Etat a jugé la directive no 2001/97/CE du 4 décembre 2001 et la loi du 11 février 2004 prise pour sa transposition conformes aux exigences des articles 6 et 8 de la Convention.
S’agissant de la directive, le Conseil d’Etat a tout d’abord rappelé qu’il résulte de l’arrêt Ordre des barreaux francophones et germanophone et autres de la Cour de justice de l’Union européenne que la directive ne méconnait pas les exigences liées au droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention dès lors qu’elle impose que soient exclues du champ des obligations d’information et de coopération les informations reçues ou obtenues par les avocats à l’occasion de leurs activités juridictionnelles. Il a ensuite retenu qu’il devait être déduit de ce même arrêt que les informations reçues ou obtenues par un avocat lors de l’évaluation de la situation juridique d’un client doivent également être exclues du champ de ces obligations, sous les seules réserves des cas où le conseiller juridique prend part à des activités de blanchiment de capitaux, où la consultation juridique est fournie à des fins de blanchiment de capitaux et où l’avocat sait que son client souhaite obtenir des conseils juridiques aux fins de blanchiment de capitaux. Selon elle, dans ces conditions, et eu égard à l’intérêt général qui s’attache à la lutte contre le blanchiment des capitaux, la directive ne porte pas « une atteinte au droit fondamental du secret professionnel protégé par l’article 8 de la Convention (...), lequel prévoit qu’il peut y avoir ingérence de l’autorité publique dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale, notamment lorsqu’une telle mesure est nécessaire à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales ».
S’agissant des dispositions légales, le Conseil d’Etat a constaté qu’elles procédaient d’une exacte transposition de la directive et en a déduit qu’elles n’étaient pas incompatibles avec les droits fondamentaux garantis par les articles 6 et 8 de la Convention.
GRIEFS
Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant se plaint du fait qu’à raison des obligations de déclaration de soupçons pesant sur les avocats, il est tenu, dans l’exercice de la profession d’avocat, sous peine de sanctions disciplinaires, de dénoncer des personnes venues entendre conseil. Il juge cela incompatible avec les principes de protection des échanges entre l’avocat et son client et de respect du secret professionnel consacrés par cette disposition.
Invoquant l’article 7 de la Convention, le requérant se plaint du fait que le règlement professionnel du 12 juillet 2007 ne définit pas suffisamment les obligations mises à la charge des avocats sous peine de sanctions disciplinaires, dès lors qu’il renvoie à des notions générales et vagues telles que « déclaration de soupçons » et devoir de « vigilance ». Il voit là une méconnaissance du principe de sécurité juridique.
Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint du fait que l’obligation faite aux avocats de déclarer leurs « soupçons » relatifs à des activités illicites éventuelles de clients est incompatible avec le droit de ces derniers de ne pas s’auto-dénoncer et avec la présomption d’innocence dont ils doivent pouvoir bénéficier.
QUESTIONS AUX PARTIES
1. L’article 8 de la Convention consacre-t-il un droit au respect de la confidentialité des échanges entre les avocats et leurs clients et au respect du secret professionnel des avocats ?
2. Dans l’affirmative, y a-t-il eu en l’espèce « ingérence » dans l’exercice des droits garantis par l’article 8 de la Convention, et le requérant peut-il se dire « victime » d’une violation de cette disposition ?
3. La présomption de protection équivalente (Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c. Irlande [GC], no 45036/98, CEDH 2005 VI) s’applique-t-elle en l’espèce ?
4. L’ingérence dont il est question était-elle le cas échéant « nécessaire, dans une société démocratique » à la poursuite de l’un des buts énumérés au second paragraphe de l’article 8 de la Convention ?
EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS – MICHAUD c. FRANCE
EXPOSÉ DES FAITS ET QUESTIONS– MICHAUD c. FRANCE
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